Imaginé par Baptiste Zsilina, assisté par de nombreux autres membres de cette compagnie avignonnaise, ce spectacle de marionnettes, sans parole, s’annonce comme une expérience esthétique, sensorielle et émotionnelle unique, dans la lignée des précédentes créations de la Compagnie (Les souffrances de Job, InKarnè ou Byba Youv) qui, en convoquant des univers très singuliers et des sujets très forts, ont durablement marqué tous les spectateurs.
Pour l’occasion, la Compagnie Deraïdenz avait dressé sur la scène du Chêne Noir un échafaudage de plusieurs mètres de hauteur, abritant deux décors en papier mâché rappelant les paysages provençaux en hiver, décors parmi d’autres dans lesquels des marionnettes à fils seront destinées à évoluer lors du spectacle à venir.
Par une démonstration de la manipulation de ces marionnettes et de la mécanique des changements de décors, les jeunes membres de cette compagnie, à la fois passionnés et espiègles, ont permis au public non spécialiste d’appréhender la technicité et la minutie de cet art exigeant. La scénographie, l’expressivité des visages et des mouvements, la beauté et la fluidité des costumes, l’accompagnement musical au service d’un récit étonnant, constituent à l’évidence la promesse d’un spectacle exceptionnel.
L’aspect serein de ces décors et de ces marionnettes, cependant, en rappelant l’univers des santons de Provence, contrastait avec l’univers sombre et torturé constituant la marque de fabrique de la Compagnie Deraïdenz, qui prend toujours un malin plaisir à nous faire peur pour mieux nous faire réfléchir, en nous donnant à voir la « matière noire » qui nous entoure… On s’attendait donc à ce que ce conte sans histoire tourne au cauchemar. Et ce fut le cas avec le surgissement saisissant des « brèches noires » dans ce paysage exhalant déjà une infinie tristesse.
Afin de ménager le suspense, la Compagnie, cependant, a pris soin de ne pas dévoiler tous les détails de cette création en cours. Elle nous donne rendez-vous en décembre 2023 pour cette première qui n’en doutons pas fera date dans l’histoire de cette jeune compagnie pleine de talents et dotée d’une extrême exigence tant dans le propos que dans les moyens techniques et artistiques utilisés. Un rendez-vous à ne pas manquer.
Critique de Ruth et Jean-Pierre Martinez