Antigone de Jean de Rotrou

Antigone_rotrouPour cette première chronique sur les œuvres théâtrales du domaine public, nous avons choisi de mettre en avant une pièce du répertoire classique, qui a connu un réel succès en 1637. Racine lui rend d’ailleurs hommage dans sa préface de La Thébaïde.

Si les versions de Sophocle, Anouilh, Cocteau ou Brecht font régulièrement l’objet de nouvelles mises en scène, l’Antigone de Rotrou est moins connue, malgré la beauté du verbe, la force des personnages et une dramaturgie particulièrement maîtrisée illustrant le déchirement entre amour et devoir, respect et rébellion contre l’autorité paternelle, soumission à l’ordre tyrannique et résistance…

A lire (à voix haute) ou à jouer, cette pièce est un vrai régal : on savoure les monologues lyriques et pathétiques, mais aussi les dialogues très rythmés avec quelques remarquables stichomythies (partie de dialogue d’une pièce de théâtre où se succèdent de courtes répliques). Aux côtés de l’héroïne Antigone, de très beaux rôles : la tragique Jocaste, le cruel Créon, la trop sage Ismène, la courageuse Argie, le tendre Hémon, les frères ennemis Etéocle et Polynice…

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Un extrait du dialogue de la scène 5 de l’acte 4 entre Créon, roi de Thèbes et son fils Hémon, amant d’Antigone.

CRÉON
Ô conseil, ô prière et ridicule et folle !
Que j’apprenne si vieux d’une si jeune école !

HÉMON
Ne regardez pas l’âge, et pesez la raison.

CRÉON
La raison n’est pas mûre en si verte saison.
Appelles-tu raison de faire honneur au crime ?

HÉMON
Non, s’il passe pour tel ailleurs qu’en votre estime.

CRÉON
Qui m’a désobéi mérite le trépas.

HÉMON
Le peuple toutefois ne le confesse pas.

CRÉON
Lui-même est criminel s’il censure son prince.

HÉMON
Faites donc le procès à toute le province.

CRÉON
Elle et ses habitants sont esclaves des rois.

HÉMON
Oui, si les rois aussi sont esclaves des lois.

CRÉON
La folle passion qui possède ton âme
Te fait insolemment parler pour une femme,
Et de son intérêt te rend aussi jaloux.

HÉMON
Vous seriez femme donc, car je parle de vous.

CRÉON
Tu contestes, mutin, contre ton propre père ?

HÉMON
J’ai cru vous conseiller, et non pas vous déplaire.

CRÉON
Ne m’est-il pas permis de conserver mon droit ?

HÉMON
Non, s’il prive les dieux de l’honneur qu’on leur doit.

CRÉON
Vil esclave de femme, esprit lâche et débile !

HÉMON
Je n’ai fait action ni lâche ni servile.

CRÉON
Parler pour une fille est ton plus digne emploi.

HÉMON
Je parle pour les dieux, et pour vous et pour moi.

CRÉON
N’espère pas enfin l’épouser jamais vive.

HÉMON
Elle ne mourra pas qu’un autre ne la suive.

CRÉON
M’oses-tu menacer ?

HÉMON
Je n’avancerais rien.
Envers qui ne veut ni ne peut faire bien.

CRÉON
Ce fol à m’outrager encore persévère !

HÉMON
Je vous dirais bien pis si vous n’étiez mon père.

CRÉON
Va, coeur efféminé ; va lâche, sors d’ici !

HÉMON
Vous voulez donc parler sans que l’on parle aussi ?

CRÉON
Oui, traître, je le veux, et bientôt pour salaire
De ta présomption va t’apprendre à te taire
Et ne chérir pas tant ce qui m’est odieux.
Soldats, amenez-la, qu’on l’égorge à ses yeux.

HÉMON
Ce ne sera jamais au moins en ma présence
Que l’on accomplira cette injuste sentence.
Faites à vos flatteurs autoriser vos lois,
Et voyez votre fils pour la dernière fois.

Pour aller plus loin :

Article en libre accès : 
Thouret Clotilde, « Le monologue dans le théâtre de Rotrou : une convention baroque, entre ornement et dramaturgie de la pensée. », Littératures classiques 2/2007 (N° 63) , p. 207-221
URL : www.cairn.info/revue-litteratures-classiques1-2007-2-page-207.htm
DOI : 10.3917/licla.063.0207

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