À Deux – Exposition

« À deux » : l’art pour apprivoiser la part de l’autre en nous

Ghyslaine et Sylvain Staëlens, 2019.

Comme il faut être deux pour danser le tango, sans qu’on sache qui de l’un ou de l’autre mène la danse, une exposition intitulée « À deux » ne pouvait naître que du désir de deux artistes différents, complémentaires et complices. Gustavo Giacosa (metteur en scène) et Fausto Ferraiuolo (compositeur) nous proposent, en nous ouvrant les portes dérobées de leur collection personnelle d’art contemporain et d’art brut, une réflexion sur la dualité sous toutes ses formes et dans tous les sens. Sujet fondamental s’il en est, puisque le néant ne saurait engendrer l’être que par le surgissement d’une dualité fondatrice née de la fission du même en deux autres qui, en s’opposant, s’inventent réciproquement. Si la tentation du mimétisme, en effet, nous ramène à l’uniformité, au non-sens et finalement à la mort, c’est bien avec la dualité que commence la diversité, la signification et la vie. Toute dualité, cependant, implique à la fois, dans les deux termes qui la constituent, la présence du même, sans qui aucune relation y compris d’opposition n’est possible, et celle de l’autre caractérisant chacun de ces deux termes pour les distinguer. Ce qui s’oppose en réalité, ce n’est pas le même à l’autre, ce sont deux formes différentes du même, constitutives du tout, qui en fusionnant à nouveau nous ramènerait au néant. Si toutefois en tant que sujet conscient nous nous situons du côté de l’une des formes spécifiques de ce même, l’autre c’est donc l’étrange et notamment l’étranger. Mais c’est aussi le double. Car s’il y a de nous en l’autre, il y a aussi de l’autre en nous. Ce qui nous effraie le plus dans l’autre ce n’est pas une altérité qu’on pourrait maintenir à distance, mais le fait que cette altérité nous révèle en miroir la part de l’autre qui est en nous. Le désir de l’autre nous dit la « brutalité » de notre propre désir.

Giovanni Galli, Ape Maya, 2002.

Art des « fous » et des « marginaux », l’art brut, parce qu’il puise directement aux sources de l’inconscient collectif, et donc des mythes les plus primitifs, sans s’encombrer des oripeaux de la tradition formelle et de la citation culturelle, est le plus à même de traiter de ce mythe fondateur de la dualité originelle. Pour exister, nous ne pouvons qu’être deux autant que duels. Et pour qu’en nous cette dualité ne se limite pas à la symétrie du néant, pour que ce duel ne finisse pas en un combat singulier (au risque de l’aliénation quand l’autre prend finalement le dessus), mais plutôt en accouplement fécond de réalités et d’idées à venir, il nous faut à tout prix apprivoiser en nous-même la part de l’autre, qui nous fascine autant qu’elle nous terrifie. Si « je est un autre » (comme dit Rimbaud, mais aussi Freud ou Jung d’une autre manière), la fonction ultime de l’art ne serait-elle pas pour chacun d’apprendre à dire nous ? Et d’accepter ainsi l’inéluctable disparition du je : puisque je est (aussi) un autre, puisqu’au fond de nous-même nous participons inconsciemment de l’autre et du tout, c’est que nous ne disparaîtrons jamais complètement. C’était aussi le sujet de la création théâtrale « En chemin » de Gustavo Giacosa, déjà accompagné par Fausto Ferraiuolo, présentée au Théâtre des Halles à Avignon en novembre 2019, dont Libre Théâtre avait fait la critique. Et c’est encore l’objet, inépuisable, de leur nouveau spectacle qui sera créé pour le prochain festival OFF d’Avignon 2020. Merci à ce duo pour cette magnifique exposition « À deux ». À ne manquer sous aucun prétexte.
Jean-Pierre Martinez

Michel Nedjar, Visage convoqué de Gustavo Giacosa, Visage convoqué de Fausto Ferraiuolo, 2019.


Informations pratiques
Du 17 janvier au 7 mars de 13h à 18h – Gratuit
Galerie Zola – Cité du Livre
8 rue Des Allumettes
13100 Aix en Provence

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