Je croque ma tante d’Eugène Labiche
Comédie en un acte mêlée de couplets d’Eugène Labiche et Marc-Michel. Représentée pour la première fois, à Paris, au théâtre du Palais-Royal le 14 février 1858. Editée en 1858.
Distribution : 4 hommes, 3 femmes.
Texte à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre.
L’argument
Chateaugredin se prépare à passer une bonne soirée : sa femme est en vacances à Deauville, il vient d’hériter de sa tante et pour célébrer sa fête, il va se faire livrer un bon dînez chez sa maîtresse, une de ses locataires Anaïs de Ripincel. Mais sa femme rentre de manière inopinée : Chateaugredin va devoir modifier son programme, avec la complicité des deux domestiques qu’il a engagés au service d’Anaïs.
Un extrait.
Chateaugredin, seul.
Quelle imprudence !… m’envoyer son portrait… ici… sous mon toit conjugal !…
Il pose le bouquet sur la console et le portrait sur une chaise.
Il est vrai qu’elle me croit garçon… Je lui ai brodé cette craque!… Par le fait, je le suis bien un peu… voilà deux mois que ma femme est à prendre les bains de mer, à Trouville, sous l’égide de son oncle Hérissart. Je n’ai pas de conseils à donner aux dames… mais, franchement, laisser son mari… seul… à Paris… pendant deux mois… juillet et août encore !… dame !… c’est bien épineux ! Mon désir le plus vif était d’accompagner ma femme… Je ne ris pas ! je le voulais !… mais j’ai été forcé de rester pour recueillir la succession de ma tante Lognon… une tante de Seine-et-Marne… qui m’a laissé dix mille francs, trois bouteilles de cassis et soixante-neuf pots de confitures !… Cette affaire étant terminée, j’allais partir pour Trouville… Hein ?… — Ma parole d’honneur !… lorsque le portier de ma maison… J’ai une maison, là en face, n° 12… Lorsque mon portier vint me dire : — Monsieur, la dame du second, c’est une-pas grand’chose! — Comment ? — Elle doit trois termes et elle veut qu’on lui remette des papiers ! — Sapristi !… D’un bond je traverse la rue, et je monte avec l’intention formelle de houspiller cette dame !.. Je sonne, on ouvre… et je me trouve en face d’une vieille… soixante-dix ans, chapeau orange et une verrue sur le nez !… J’allais lui chanter ma gamme… lorsque apparaît sa fille, Anaïs, née de Ripincel… une femme d’un très grand air et très belle !… Elle était vêtue d’un léger peignoir bleu ciel… à peine noué par une ceinture souci. A cette vue… je ne sais ce qui se passa en moi… que vous dirai-je?… Nous étions au 15 juillet… en pleine canicule!… Jusqu’alors… parole d’honneur !…
Air du Charlatanisme
J’étais un modèle parfait
De fidélité, de constance ;
Mais, hélas ! Le quinze juillet
Est jour de terme et d’échéance.
Ne redoutant aucun portier,
dans ma vertu je marchais ferme !
Mais l’amour, malin créancier,
Vint me réclamer son loyer…
Et mon cœur a payé son terme.
En sortant de chez elle, non seulement je ne lui avais pas réclamé ses loyers, mais je lui avais accordé du papier à neuf francs le rouleau!… Nous prîmes rendez-vous le lendemain pour aller le choisir… le surlendemain pour le faire coller… et le jour d’après… pour dîner aux Champs-Elysées, chez Ledoyen ! — Entre nous, Anaïs ne mange pas de tout… elle est un peu chipoteuse !… Il lui faut des petits perdreaux truffés… des petites cailles aux olives… etc… etc… Dame !… tout ça… ça coûte !… et si je n’y mettais bon ordre, la succession de ma tante Lognon y passerait bien vite!…
Prenant dans son secrétaire un sac d’argent à peu près vide.
Le sac est là !… déjà pas mal grignoté…
Il remet le sac dans le secrétaire.
Car, l’avouerai-je ?…
Gaiement.
C’est canaille!… Mais dans ce moment je croque ma petite tante Lognon !…