Deux papas très bien d’Eugène Labiche

Deux papas très bien ou la grammaire de Chicard. Comédie en un acte d’Eugène Labiche et Auguste Lefranc. Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Palais-Royal, le 6 novembre 1844.
Distribution : 5 hommes, 1 femme
Texte intégral à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre.

L’argument

Nous reprenons les deux versions du résumé que proposait Le Mercure des théâtres le 21 novembre 1844  (voir plus bas l’article complet reproduit).

Palais-Royal. Deux Papa très bien, vaudeville en un acte, mêlé d’argot.

Tourterot, birbe de Châtellerault, voulant entifler son mion, attire dans son bazar M. Poupardin, membre de l’arche de Noé d’Etampes, et propriétaire d’une gosseline altèque. Tourterot, qui durant un court séjour qu’il fit à Pampeluche auprès de son dauphin, étudiant en médecine, a chopé la menteuse et les habitongues du beau monde de la Chaumière, crache bigorne à l’académicien d’Etampes, qui n’entrave niente à ce chiffon. Mais gerbiant le mion qu’on destine à sa momignarde par l’auteur, il jure que jamais ses zigue n’épousera un étudiant de Pampeluche. — Heureusement celui-ci aboule ; — c’est un marquant comme un autre : frusques noires, collier blanc, paffes saboulés. — Tourterot lui-même ne rembroque plus son dauphin ; c’est que ce dauphin n’est plus un momignard qui, pour maquiller comme ses zigs, avait cru devoir être extravagant dans sa toilette, de mauvais goût dans son langage et ridicule en tout, mais un chêne raisonnable qui se ficèle et jaspille comme tout le monde.—Poupardin, heureusement désabusé à l’endroit du jeune Tourterot, lui fruque sa momignarde en entiflement.

(Traduction.) Tourterot, vieillard de Châtellerault, voulant marier son fils, attire dans la maison M. Poupardin, membre de l’Académie d’Etampes, et propriétaire d’une fille jeune et jolie. Touterot qui, durant un court séjour qu’il fit à Paris, auprès de son fils, étudiant en médecine, a pris le langage et les habitudes du beau monde de la Chaumière, parle argot à l’académicien d’Etampes, qui ne comprend rien à cette façon de parler. Mais jugeant le garçon qu’on destine à sa fille par le père, il jure que jamais elle n’épousera un étudiant de Paris. — Heureusement celui-ci arrive ; — c’est un homme comme un autre ; habit noir, cravate blanche, souliers vernis. — Touterot lui-même ne reconnaît plus son fils ; c’est que ce fils n’est plus un garçon qui, pour faire comme ses camarades, avait crû devoir être extravagant dans sa toilette, de mauvais goût dans son langage et ridicule en tout, mais un homme raisonnable qui s’habille et parle comme tout le monde. — Poupardin, heureusement désabusé à l’endroit du jeune Touterot, lui donne sa fille en mariage.

(voir la suite de l’article plus bas).

Illustrations sur Gallica

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b6400878c
Portrait de Grassot (Tourterot) par Lhéritier, 1844. Source : BnF/ Gallica
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b6400877z
Portrait de Grassot (Tourterot) par Lhéritier. 1844. Source : BnF/ Gallica
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b6400879s
Portrait de Leménil (Poupardin) et Grassot (Tourterot) / par Lhéritier. 1844. Source : BnF/ Gallica

Critiques lors de la création

Dans l’Indépendant du 21 novembre 1844. Source BnF/Gallica

« THEATRE DU PALAIS-ROYAL – Deux papas très bien, vaudeville en un acte, de  MM. Lefranc et Labiche.

Voici un vaudeville des plus gaillards, des plus excentriques que je sache. Grassot et Leménily sont adorables d’originalité ; Grassot surtout a une touche et un entrain à faire pâmer de rire. Cela se peut-il raconter ? Donnerons-nous bien une idée de ce contraste qui exisle entre M. Tourterot, bon rentier de province, aimant de son fils jusqu’à ses défauts, en prenant les manières qui ne sont ni plus ni moins que celles de la Grande-Chaumière, — et M. Poupardin, qui vise à la phrase, fait un usage immodéré de l’imparfait du subjonctif et de termes extra-techniques, au point que, révolté de l’argot de M. Tourterot, il veut rompre le mariage projeté entre sa fille Camille et César, fils dudit Tourterot, quand il s’aperçoit que son futur gendre, reçu docteur tout récemment, est un homme de bon ton et de bonnes manières.
Le succès a été grand et mérité, et les applaudissemens ont accueilli les noms des auteurs.
M. Dubleix a une voix qui écorche. les oreilles ; M. Germain une froideur qui glace, le public, et Mlle Juliette une figure plus agréable que son jeu.
A. B. »

Extrait du Mercure des Théâtres du 21 novembre 1844 

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5445443r
Le Mercure des Théâtres, 21 novembre 1844. Source : BnF/Gallica

Suite de l’article plus haut (reproduction ci-contre).
Chastes lecteurs, pardonnez-nous la barbarie de certaines expressions dont vous n’avez pas dû comprendre le sens. Comme vous en avez déjà fait la réflexion tout bas, nous nous sommes dit intérieurement : Qu’est-ce que tout cela signifie?… — Nous allions renoncer à parler de cette pièce, quand un monsieur du parterre, un de ceux qui battent des mains sous le lustre, s’est chargé de nous servir d’interprète, et nous avons écrit ce qu’il nous a dicté : « le théâtre est l’école des moeurs ! ! ! »

Après la chute du rideau, M. Germain est venu dire : « Messieurs, la pièce que nous avons eu l’honneur de représenter devant vous, est de MM. Lefranc et Labiche. »

Un extrait

Tourterotà Camille.
Primo, d’abord, et d’un, j’ai l’honneur de vous présenter votre futur beau-père, un petit gris qui n’est pas encore trop déchiré, comme vous pouvez voir.

Camille.
Ah ! c’est M. votre Fils…

Tourterot.
Lui-même… un amour d’homme… Vous m’en direz des nouvelles

Camille.
Ah !… c’est un joli cavalier ?… Et… est-il bien pâle ?…

Tourterot.
Je ne pourrais pas vous dire… parce que, comme il a une barbe qui lui prend là… jusque-là… mais il doit être pâle… en dessous.

Poupardin.
Et sa clientèle ?… j’aimerais assez que vous touchassiez cette corde.

Tourterot.
Sa clientèle ?… Ah ! dame !… dans le commencement, il y a eu du tirage… mais, maintenant, ça boulotte, surtout depuis qu’il a mis une queue à son nom… depuis qu’il se fait appeler le docteur Césarius… vous comprenez, César, Césarius… Il s’est fait Polonais, parce qu’à Paris, en médecine, si on n’est pas un peu Polonais… Il est si ficelle, mon jeune homme… (À Camille,) Vous verrez comme il est ficelle.

Camilleétonnée.
Ficelle !

Poupardin.
Ficelle !

Camille.
Et, à Paris… un docteur… ça se met bien, n’est-ce pas… ça suit la mode ?…

Tourterot.
Ah ! pour ce qui est de la tenue… tout ce qu’il y a de plus verdâtre : pantalon écossais, burnous algérien, béret montagnard, la blague en sautoir et la bouffarde aux gencives. Quelle sensation il a faite à Châtellerault la dernière fois qu’il est venu me voir !… on louait des fenêtres pour le voir passer. Mais aussi quelle bouffarde !

Poupardin.
Bouffarde ! Qu’entendez-vous par ce substantif ?

Tourterot.
Sa bouffarde ?… c’est Dagobert, sa pipe favorite, ainsi nommée parce qu’elle est culottée.

Poupardin.
À l’envers ?

Tourterot, riant.
Farceur !… Ah ! c’est qu’il est très voluptueux sur les pipes… Faut voir chez lui, il en a mis partout, jusque dans la bouche de ses têtes de mort.

Camille.
Il a des têtes de mort ?

Tourterot.
Dans tous les coins… C’est gentil, ça meuble.

Camille.
Ah ! l’horreur !

Tourterot.
Non… je vous assure que ça fait très bien, surtout à côté d’un petit écorché.

Camille.
Ah ! mon Dieu !… un écorché aussi ?

Tourterot.
En cire… Ah ! le bel écorché… c’est parlant ; et puis c’est commode… On entre, on ne sait où placer son chapeau… (Il fait le geste,) Flac !

Camille.

C’est épouvantable… un écorché !… Ah ! papa, je n’épouserai jamais un écorché !

Poupardin.
Mais comprends donc, puisqu’il est médecin, tout cela est pour lui d’utilité professionnelle.

Tourterot.
C’est avec ça qu’il a appris à disséquer.

Camille.
Il dissèque ?

Tourterot.
Comme un ange !… et il vous coupe une jambe que c’est un plaisir ; psit ! c’est fait !… On ne s’en aperçoit que lorsqu’on veut marcher… dit-on.

Camilleà part.
Quel horrible portrait !

Tourterotà part.
J’espère que je le fais mousser.

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