Cochon de Coco de Georges Courteline

Texte établi par Libre Théâtre à partir de l’édition Coco, Coco et Toto, Albin Michel, Paris, 1905 (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k66297d)
Pièce en 8 courtes scènes pour 1 homme et 1 femme

Texte à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1158111d
Illustration de Barrère de l’édition de 1910. Source : BnF/Gallica

Scène première

La chambre à coucher conjugale. Madame se dispose à se mettre au lit.

Madame.
Minuit et demi ! Et Coco, qui devait être ici à onze heures ! Du reste je m’y attendais ; comme je lui ai dit très bien : « Tu me fais rire avec tes onze heures ; si tu es rentré à minuit, ce sera encore bien joli !… C’est même assez extraordinaire que tu ne puisses aller à ce banquet des Pieds-Gelés sans en revenir à des heures extravagantes. Ce que j’avais raison ! il est minuit trente-cinq… Sale bête. Tu vas me payer ça en rentrant.

(Elle se plonge sous les couvertures.)

Scène II

Un palier. Le gaz est éteint. Ténèbres profondes. 

Monsieur, qui a monté un étage de trop et qui, depuis trois quarts d’heure, s’entête à sonner à la porte d’un logement inhabité.
On ne peut pas se faire une idée comme mon logement est incommode. C’est vrai qu’on y a une belle vue et que l’escalier est très clair… – le jour –  mais c’est si bêtement distribué que c’est à peine, quand on sonne, si on entend de la chambre à coucher. Ainsi voilà une éternité que je suis là à carillonner et recarillonneras-tu : pas moyen de me faire entendre ! Faut croire que ma femme se sera endormie.
(Il sonne. Long silence.)
Rien de fait. Bon Dieu, quelle saleté de logement !…
(Bruit d’une trombe qui tambourine sur des vitres qu’on ne voit pas.)
Pleut-y ! Pleut-y !…
(Il sonne. Silence.)
Rien encore !
(Furieux)
Et dire que tout ça n’arriverait pas si mon imbécile de femme consentait à me donner la clé quand je dois rentrer tard, le soir. Mais non, Madame ne veut pas ; Madame aime mieux faire la bête !  « Tu n’as pas besoin de la clé je t’ouvrirai !!! » qu’elle me dit. « Je t’ouvrirai !!!»
(Exaspéré)
Eh ouvre-moi donc, chameau !
(Il sonne à tour de bras. La sonnette, trop violemment secouée, se détache, tombe et roule au loin, dans les échos de l’appartement vide. Consternation de Monsieur.)
Zut ! J’ai cassé la sonnette !

Scène III

La chambre conjugale.

Madame, le coude dans l’oreiller.
Une chose me met hors de moi c’est le sans-gêne de cet être là ! Il n’a pas la clé ; il le sait et il sait également que quand il rentrera, il faudra que je me lève pour aller lui ouvrir. Ça devrait le faire se presser. Il devrait se dire : « Ma femme m’attend pour s’endormir ; conduisons-nous en galant homme et ne la laissons pas se morfondre. » Mais ouitche ! c’est comme des pommes ! Monsieur aime mieux faire la fête avec un tas de galvaudeux, autour d’une nappe rougie, chargée de mets et d’alcools !… Mauvaise race !… Et ça se plaint, encore, quand on se venge !
(Haussement d’épaules. Très long silence. Une heure sonne.)
Qu’est-ce qu’il peut faire ?… Qu’est-ce qu’il peut faire ? Il est une heure du matin ! Jamais il n’est rentré si tard… Ce que tu vas me payer ça !…

Scène IV

Monsieur, à l’étage au-dessus ; la bouche au trou de la serrure.
Coco !… Coco !… Eh Coco !

Scène V

Madame, à l’étage au-dessous, ne lisant plus que d’un œil distrait.
Cochon de Coco

Scène VI

Monsieur, qui vient de lancer dans la porte une demi-douzaine de coups de pieds demeurés sans effet.
Voilà ce qui sera arrivé. Comme je banquetais aux Pieds-Gelés, ma femme, embêtée de rester seule, sera allée  dîner chez sa mère. et elle attend, pour en revenir, que la pluie ait cessé de tomber, car elle n’aime point prendre de voiture. Elle ne peut tarder maintenant. Je vais patienter en fumant une cigarette.
(Il roule une cigarette, sans voir, puis, tire de sa poche sa boîte de tisons, qui naturellement est vide.)
Très bien Pas une allumette !… Que la vie est bête, bon Dieu !…
(Il s’assied sur une marche, et, les ongles aux dents, attend le retour de sa femme. L’averse a cessé. Silence de tombe, où rôdent les bourdonnements de la nuit. Un quart d’heure s’écoule. Un siècle.
Je donnerais bien vingt sous pour être dans mon lit.
(Nouveau silence. Nouveau quart d’heure. Nouveau siècle.)
Avec ça, j’ai une envie de pisser
(Encore le silence. Brusquement l’horloge d’une église lointaine sonne deux heures et aussitôt, dans la nuit de l’escalier, c’es la gaité d’une foule de petites pendules qui sonnent deux heures, elles aussi. Un coucou les chante on ne sait où, mélancolique, dans les hauteurs dans mansardes.)
Je comprends qu’on soit économe, mais vraiment ma femme est trop pingre…elle aurait pu prendre une voiture.
(Le quart. Monsieur s’impatiente 🙂
Oh !
(La demie. Monsieur s’étonne 🙂
Ah !
(Les trois quarts. Monsieur s’inquiète 🙂
Ce n’est pas possible ; il est arrivé un malheur !…Eh oui ! parbleu ça ne fait plus l’ombre d’un doute !… Elle aura fait une mauvaise rencontre… quelque souteneur qui l’aura assommée, fichue ensuite à la rivière. Bon Dieu de bon Dieu, je parie quelle est dans le canal !…
(Trois heures.)

Scène VII

Madame.
Trois heures !!! Ah bien, non ; ça, c’est trop !…
(Elle se soulève dans son lit, et, la main étendue dans le vide:)
Tu seras cocu, mon ami

Scène VIII

Monsieur, Éploré, dans la nuit.
Quand il fera jour, j’irai à la Morgue.

FIN

Pour explorer l’œuvre théâtrale de Georges Courteline dans Libre Théâtre :

Retour en haut