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La Bohème de Puccini à l’Opéra Grand Avignon
C’est une Bohème à la fois sobre et émouvante que nous propose Frédéric Roels à l’Opéra Grand Avignon, reprenant la production qu’il avait conçue en 2019 avec la regrettée Claire Servais, aujourd’hui disparue. Ces trois représentations lui sont dédiées. Dans cet opéra de Puccini où l’on retient souvent la dimension tragique, le metteur en scène réussit à mettre en lumière les touches d’humour présentes dans le livret, accentuant par contraste la puissance dramatique du dénouement. Débarrassée de tout artifice spectaculaire, la scène symbolise la misère qui caractérise la vie des artistes. Dans ce décor minimaliste, où les costumes rappellent cependant le contexte historique, le jeu des chanteurs prend toute sa place et offre un regard plus direct sur l’essence du récit. Les solistes sont dirigés avec justesse et brillent par leur engagement vocal et dramatique. Gabrielle Philiponet incarne une Mimì bouleversante, sa voix chaude et expressive donnant une intensité particulière à Mi chiamano Mimì et à l'ultime Sono andati? qui arrache les larmes à une audience conquise. Diego Godoy, en Rodolfo, charme par la clarté de son timbre et par sa puissance dans le célèbre Che gelida manina. Charlotte Bonnet illumine le rôle de Musetta, notamment dans Quando m’en vo’, où elle se montre à la fois piquante et rayonnante. Aux côtés de Diego Godoy, Geoffroy Salvas (Marcello), Mikhael Piccone (Schaunard) et Dmitrii Grigorev (Colline) incarnent avec talent les artistes bohèmes, formant un quatuor parfaitement équilibré. Le Chœur de l’Opéra Grand Avignon et la Maîtrise donnent une belle ampleur aux scènes de foule. Malgré l’étroitesse du plateau, la chorégraphie des mouvements de foule est fluide et parfaitement maîtrisée, apportant une dynamique scénique lors des scènes de rue. L’Orchestre national Avignon-Provence, sous la direction inspirée de Federico Santi, déploie une richesse de nuances qui souligne les contrastes entre comédie et tragédie. Une mise en scène intelligente et sensible, qui apporte un regard renouvelé sur cette histoire d'amour intemporelle.
L’âme-son à la Scala Provence
Si la musique baroque suscite un vif intérêt depuis de nombreuses années, le répertoire de la guitare baroque à cinq cordes demeure méconnu. Le guitariste Bruno Helstroffer nous invite à découvrir l’œuvre d’Henry Grenerin, musicien du Roi dès 1641. À travers un récit fantasmé mêlant la figure d’Henry Grenerin et l’histoire, entre ombres et lumières, du Roi-Soleil, il insuffle une nouvelle vie à cette musique injustement oubliée, dans une mise en espace poétique portée par le mime Stefano Amori. Un instant suspendu, empreint de grâce et propice à la rêverie.
La compagnie Les Pieds Nus propose une version adaptée et « modernisée » du Bourgeois Gentilhomme de Molière. C’est avec quelque appréhension que nous allions voir ce spectacle, car pourquoi revisiter cette pièce dont le message malgré les siècles reste d’une actualité brûlante : l’obsession des apparences et du statut social mène à l’aveuglement et à la manipulation. Nos craintes furent vite dissipées par la cohérence de la mise en scène de Bastien Ossart, qui incarne aussi également Monsieur Jourdain, et la virtuosité de l’ensemble des interprètes. Légèrement resserrée, la pièce de Molière est interprétée suivant les codes exigeants du théâtre baroque : une déclamation emphatique, une diction claire et rythmée soulignant la musicalité du texte et une gestuelle proche de la pantomime, sans oublier la mise en abyme et la rupture du quatrième mur. Ainsi les scènes originales sont commentées lors d’intermèdes burlesques qui éclairent les enjeux de l’intrigue, facilitant ainsi la compréhension des plus jeunes spectateurs. Les costumes, et singulièrement les chapeaux et coiffes, sont à la fois spectaculaires, colorés et délirants, évoquant l’univers fantasmagorique de Tim Burton. L’ensemble respecte à merveille l’esprit des comédies de Molière où texte, danse et chant s’entrelacent dans un rythme échevelé, déclenchant de nombreux éclats de rire. Un spectacle tout public, drôle, intelligent et surprenant, à ne pas manquer.
Gisèle Halimi, une farouche liberté
Le spectacle propose le récit de cette vie d’engagement et dresse un portrait sensible, porté par deux voix féminines, Marie-Christine Barrault et Hinda Abdelaoui. Chacune incarne tour à tour Gisèle Halimi, révélant les différentes facettes de cette personnalité emblématique, dont la force motrice fut une indignation viscérale face à l’injustice. La sobre mise en scène laisse toute la place à la parole, rythmée par des archives sonores où résonne la voix même de l’avocate, faisant naître une intense émotion. La grande salle de la Scala Provence était comble, rassemblant un public varié, avec de nombreux jeunes, attentifs et séduits. Au delà de l’hommage, le spectacle Gisèle Halimi, une farouche liberté est un spectacle essentiel qui invite à la réflexion et nourrit le débat toujours actuel sur les droits des femmes et la justice sociale.
Turandot, énigmes au musée (d’après Puccini)
Chaque année, l’Opéra Grand Avignon propose un opéra participatif, l’occasion de faire découvrir une œuvre emblématique à un jeune public, appelé à travailler plusieurs chants avant la représentation, dans le cadre scolaire ou lors d’ateliers d’apprentissage ouverts à tous, puis à participer depuis la salle lors de la représentation. La qualité et la variété des documents pédagogiques, disponibles en ligne ou en version papier, méritent d’être soulignées. Ces ressources, riches et adaptées, jouent un rôle clé dans le succès de cette initiative, ayant pour but de populariser l’opéra auprès du grand public, et notamment auprès des plus jeunes, en le rendant inclusif et participatif. Pour la saison 2024-2025, l’Opéra Grand Avignon, en coproduction avec l’Opéra de Rouen Normandie et le Teatro Sociele di Como-AsLiCo a choisi Turandot, présenté en version française. L’adaptation, particulièrement ingénieuse, offre une mise en abyme de l’histoire de Turandot : Calaf est un jeune homme d’aujourd’hui qui tombe éperdument amoureux du portrait de Turandot lors de la visite d’un musée. L’adaptation dramaturgique signée Andrea Bernard et le remaniement musical de la partition de Puccini par Enrico Minaglia mettent cet opéra grandiose à la portée d'un public familial, sans aucunement le dénaturer. L’histoire mêlant passion et enjeux tragiques se déploie dans une Chine légendaire, évoquée par des éléments visuels tels que les gongs, lanternes, dragons, masques ou jeux d’ombre. Ces symboles dialoguent subtilement avec la musique de Puccini, dont les orchestrations et motifs mélodiques évoquent un Orient imaginaire, empreint de mystère.