Les transports parisiens dans le théâtre de Courteline
Le théâtre de Courteline fournit le prétexte d’une exploration de Paris et de la région parisienne, à travers les divers moyens de transports de la fin du XIXème siècle et du début du XXème siècle.
Ainsi, dans la saynète La Rue de la pompe, Courteline propose un véritable circuit à travers Paris. Piégelé un provincial en visite à Paris s’est rendu au Sacré-coeur et veut retourner rue de la Pompe où réside son cousin. Il ne cesse de se tromper d’itinéraire. Au lieu de prendre l’omnibus Place Pigalle-Trocadéro, il emprunte l’omnibus Place Pigalle-Halle-aux-Vins. Puis au lieu de prendre le bateau du Point-du-Jour jusqu’au Louvre, il monte sur le bateau qui se dirige dans l’autre sens et se retrouve au Pont de Charenton. Il reprend le bateau dans le bon sens, mais une fois au Louvre au lieu d’emprunter le tramway vers Passy, il monte dans le tramway vers Vincennes. A la station Bel-Air, il tente de prendre le chemin de fer de ceinture pour rejoindre Passy, mais il se trompe de nouveau et se retrouve à Boissy Saint-Léger. A la gare de Boissy, nouvelle erreur ! Le voilà parti pour Brie-Comte-Robert.
Courteline propose un autre circuit dans la fantaisie musicale Panthéon-Courcelles : le trajet de l’omnibus à cheval entre la place du Panthéon et le boulevard de Courcelles est commenté par un récitant avec les interventions musicales de deux choeurs, qui détournent les paroles populaires Il n’y a qu’un Dieu.
Les fiacres sont encore présents à Paris. Courteline semble avoir de mauvaises expériences avec les cochers. Ainsi dans Cochon de cocher, un client se trouve bloqué dans un fiacre à Gare de Lyon à 3 heures du matin. Dans Le Mauvais Cocher, La Brige monte dans un fiacre pour se rendre à la place de la Bastille prendre le train pour Vincennes. Le cocher met toute la mauvaise volonté possible et arrive largement après le départ du train. La Brige demande alors au cocher de le mener à la « barrière de Vincennes ». Le cocher refuse et La Brige demande qu’on appelle un agent…
« Messieurs et chers concitoyens, vous voyez en moi un pauvre homme submergé de bon droit et de bonne foi et qui se bute au mauvais vouloir d’une brute entêtée et méchante. Lequel de vous, dix fois, vingt fois, cent fois, n’a pas été victime de l’infamie d’un cocher de fiacre ? C’est mon cas. Je vous jure, messieurs, que je suis un homme pacifique, ennemi des vaines discussions et des imbéciles chicaneries, et tout à fait digne, que les honnêtes gens lui prêtent aide et assistance. Un agent, messieurs, un agent !… »
Le fléau du harcèlement sexiste dans les transports semble être apparu en même temps que les transports publics… Dans Les Amputés, Une femme se fait harceler dans un omnibus par un jeune monsieur, dont le bras a disparu… Si Courteline traite le sujet avec humour (avec le recul, c’est un humour très noir puisque Courteline finira amputé des deux jambes…), il n’en reste pas moins qu’il est un des seuls auteurs à témoigner de cette réalité, toujours d’actualité malheureusement (campagne stop, ça suffit ! )
Même si le sujet des transports n’est pas toujours au centre de la saynète, il peut être évoqué au détour d’une conversation. Ainsi dans A l’atelier, on apprend que « sur les lignes de chemin de fer, les femmes enceintes voyagent à quart de place ». Le monopole est ensuite défini au terme d’un dialogue savoureux : » Qu’est-ce que c’est que ça, le monopole ?
– Je vais te l’expliquer en deux mots. C’est une espèce de télescope ; ça sert à mettre les parapluies et ça donne bon goût au boudin. »
Le ticket de correspondance est évoqué dans deux saynètes. C’est le sujet principal de la Correspondance cassée :
Dans Morte saison, pour relancer leur commerce, deux prostituées imaginent un système copié des tickets de correspondance :
Fanny
« si ça te va, je te propose une chose : cent sous la passe, tarif d’été, et nous donnons la correspondance
Palmyre.
La correspondance ?
Fanny.
Et oui ! le truc des tramways, quoi ! deux voyages pour un. »
L’Article 330 évoque un autre moyen de transport installé à l’occasion de l’Exposition universelle de 1900 à Paris. Monsieur La Brige a montré son derrière aux visiteurs de l’Exposition universelle, exaspéré des quolibets qu’ils lui jetaient en passant devant ses fenêtres ouvertes alors qu’ils se trouvaient sur le Trottoir Roulant… La « rue de l’Avenir » était un trottoir roulant parcourant une boucle de 3,5 kilomètres, autour du site de l’exposition, avec neuf stations. Il était installé sur un viaduc, à 7 mètres au-dessus du sol. Il était composé d’une plate-forme fixe et de deux plates-formes mobiles : la principale (2 mètres de large) qui circulait à 8 km/h, et un marche-pied d’accès (80 cm de large) à mi-vitesse. Le trottoir rapide permettait de faire le tour de la boucle en 26 minutes. La plate-forme mobile pouvait recevoir simultanément 14 000 personnes ; durant l’après-midi du jour de Pâques, elle a transporté 70 000 personnes.
Source : Edison Manufacturing Co. [Domaine public], via Wikimedia Commons. Autre film sur le même sujet, à découvrir sur le site de la Library of Congress
Enfin, nous terminerons ce tour des transports par le vélo : Courteline nous propose une Première leçon savoureuse, avec Tristan Bernard.
« — Tenez le guidon sans raideur ; veillez bien à ce que vos pieds ne quittent jamais la pédale, et allez carrément de l’avant !… De la confiance !… Toute l’affaire est là !— Allez ! Je vous tiens.
Ainsi me parlait dans le dos l’auteur charmant du Mari Pacifique, mon ami Tristan Bernard, maître en l’art d’écrire le français et agrégé de vélocipède, si j’ose m’exprimer ainsi. En même temps, joignant le geste à la parole, il avait, de sa dextre robuste, empoigné, au ras de mon fond de culotte, la selle de la bicyclette, théâtre de mes premiers essais, et il en maintenait le fragile équilibre…. »
Pour explorer l’œuvre théâtrale de Georges Courteline dans Libre Théâtre :
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