Tartuffe de Molière

Tartuffe ou l’Imposteur. Comédie en cinq actes et en vers représentée pour la première fois au château de Versailles le 12 mai 1664. La pièce ne comportait à l’origine que trois actes.
Distribution : 7 hommes, 5 femmes
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L’argument

Orgon et sa mère, Madame Pernelle, sont tombés sous la coupe de Tartuffe, un hypocrite et un faux dévot. Orgon lui lègue ses biens et veut que Tartuffe épouse sa fille, Marianne, alors que Tartuffe tente de séduire Elmire, la femme d’Orgon. Démasqué grâce à un piège tendu par cette dernière, Tartuffe veut ensuite chasser Orgon de chez lui. En se servant de papiers compromettants qu’Orgon lui a remis, il va le dénoncer au Roi.

Le contexte

Si Molière avait suscité des réactions vives avec L’Ecole des femmes en 1662, c’est cependant avec Tartuffe qu’il soulève le plus gros scandale de sa carrière. Sa troupe joue une première version de la pièce, les trois premiers actes seulement, devant le Roi et la Cour en 1664. Mais cette comédie, qui moque le parti dévot en la personne de Tartuffe, s’attire immédiatement l’hostilité de la Compagnie du Saint-Sacrement, un groupe religieux puissant, qui parvient à la faire interdire. Le chef de troupe est accusé d’impiété et de blasphème, et l’archevêque de Paris excommunie d’avance les fidèles qui se risqueront à aller voir la pièce. Malgré l’appui du Roi, il faudra à Molière cinq années de lutte et d’importantes modifications de son texte pour obtenir l’autorisation de le faire jouer : représenté en 1669, Tartuffe connaît alors un triomphe sans précédent, à la mesure de son scandale. (Source :Céline Candiard/ INA)

Tartuffe sur Gallica et à travers quelques répliques

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8438891z
Sarah Bernhardt dans le rôle de Dorine. Source : BnF/ Gallica
Acte 2, Scène 3
Marianne
Contre un père absolu que veux-tu que je fasse ?
Dorine
Ce qu’il faut pour parer une telle menace.
Marianne
Quoi ?
Dorine
Lui dire qu’un cœur n’aime point par autrui ;
Que vous vous mariez pour vous, non pas pour lui ;
Qu’étant celle pour qui se fait toute l’affaire,
C’est à vous, non à lui, que le mari doit plaire,
Et que, si son Tartuffe est pour lui si charmant,
Il le peut épouser sans nul empêchement.
Marianne
Un père, je l’avoue, a sur nous tant d’empire,
Que je n’ai jamais eu la force de rien dire.

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8527610g/f34.item
Illustration Adolphe Lalauze. Source : BnF/ Gallica

Acte 3, Scène 3
Tartuffe, tirant un mouchoir de sa poche.
Ah ! mon Dieu ! je vous prie,
Avant que de parler, prenez-moi ce mouchoir.
Dorine.
Comment !
Tartuffe
Couvrez ce sein que je ne saurais voir.
Par de pareils objets les âmes sont blessées,
Et cela fait venir de coupables pensées.
Dorine
Vous êtes donc bien tendre à la tentation ;
Et la chair sur vos sens fait grande impression !
Certes je ne sais pas quelle chaleur vous monte :
Mais à convoiter, moi, je ne suis point si prompte :
Et je vous verrais nu du haut jusques en bas,
Que toute votre peau ne me tenterait pas.


http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53118161v
Estampe de Monvoisin, Desmadry. Litho. de Villain. Source : BnF/ Gallica

Acte 3- Scène 3
Tartuffe, prenant la main d’Elmire, et lui serrant les doigts.
Oui, madame, sans doute, et ma ferveur est telle…
Elmire
Ouf ! vous me serrez trop.
Tartuffe
C’est par excès de zèle.
De vous faire autre mal je n’eus jamais dessein,
Et j’aurais bien plutôt…
(Il met la main sur les genoux d’Elmire.)
Elmire
Que fait là votre main ?
Tartuffe
Je tâte votre habit : l’étoffe en est moelleuse.
Elmire
Ah ! de grâce, laissez, je suis fort chatouilleuse.
(Elmire recule son fauteuil, et Tartuffe rapproche d’elle.)
Tartuffe, maniant le fichu d’Elmire.
Mon Dieu ! que de ce point l’ouvrage est merveilleux !
On travaille aujourd’hui d’un air miraculeux :
Jamais, en toute chose, on n’a vu si bien faire


Album Reutlinger
Album Reutlinger. Cécile Sorel de la Comédie-Française dans le rôle d’Elmire. Source : BnF/ Gallica

Acte 3, Scène 3
Elmire
La déclaration est tout à fait galante ;
Mais elle est, à vrai dire, un peu bien surprenante.
Vous deviez, ce me semble, armer mieux votre sein,
Et raisonner un peu sur un pareil dessein.
Un dévot comme vous, et que partout on nomme…
Tartuffe
Ah ! pour être dévot, je n’en suis pas moins homme :
Et, lorsqu’on vient à voir vos célestes appas,
Un cœur se laisse prendre, et ne raisonne pas.
Je sais qu’un tel discours de moi paraît étrange :
Mais, madame, après tout, je ne suis pas un ange ;
Et, si vous condamnez l’aveu que je vous fais,
Vous devez vous en prendre à vos charmants attraits.


http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8436359d/f295.item
Edition 1716. Source : BnF/ Gallica

Acte 4, Scène 4
Elmire.
Approchons cette table, et vous mettez dessous.
Orgon.
Comment ?
Elmire.
Vous bien cacher est un point nécessaire.
Orgon.
Pourquoi sous cette table ?
Elmire.
Ah, mon Dieu ! laissez faire :
J’ai mon dessein en tête, et vous en jugerez.
Mettez-vous là, vous dis-je ; et quand vous y serez,
Gardez qu’on ne vous voie et qu’on ne vous entende.
Orgon.
Je confesse qu’ici ma complaisance est grande ;
Mais de votre entreprise il faut vous voir sortir.


http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8528775g/f633.item
Paris, Comédie-Française, 15 mai 1889. Coquelin aîné dans le rôle de Tartuffe. Source : BnF/ Gallica

Acte 4, Scène 5
Tartuffe
Je puis vous dissiper ces craintes ridicules,
Madame, et je sais l’art de lever les scrupules.
Le ciel défend, de vrai, certains contentements ;
Mais on trouve avec lui des accommodements .
Selon divers besoins, il est une science
D’étendre les liens de notre conscience,
Et de rectifier le mal de l’action
Avec la pureté de notre intention.
De ces secrets, madame, on saura vous instruire ;
Vous n’avez seulement qu’à vous laisser conduire.
Contentez mon désir, et n’ayez point d’effroi ;
Je vous réponds de tout, et prends le mal sur moi.


http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b530498085/
Eugène Silvain dans « Tartuffe » dessin de Yves Marevéry, 1906. Source : BnF/ Gallica

Acte 4, Scène 5
Tartuffe
Enfin votre scrupule est facile à détruire.
Vous êtes assurée ici d’un plein secret,
Et le mal n’est jamais que dans l’éclat qu’on fait.
Le scandale du monde est ce qui fait l’offense,
Et ce n’est pas pécher que pécher en silence.


http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8436359d/f368.item
Illustration de Lalauze. Source : BnF/ Gallica
Acte 4, Scène 7
Tartuffe
C’est à vous d’en sortir, vous qui parlez en maître.
La maison m’appartient, je le ferai connaître,
Et vous montrerai bien qu’en vain on a recours,
Pour me chercher querelle, à ces lâches détours ;
Qu’on n’est pas où l’on pense en me faisant injure ;
Que j’ai de quoi confondre et punir l’imposture,
Venger le ciel qu’on blesse, et faire repentir
Ceux qui parlent ici de me faire sortir.

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53079705c
Dupont-Vernon. Théâtre français. Tartuffe : [photographie, tirage de démonstration] / [Atelier Nadar] 1910. Source : BnF/ Gallica
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10534343g/f1.item
Damas, artiste sociétaire, Th. Français : [estampe] / Henry Monnier del. ; litho de C. Motte. 1824. Source : BnF/ Gallica

Quelques mises en scène

Mise en scène par Louis Jouvet, 1950

Jouvet cherche à réhabiliter Tartuffe en ne le présentant pas comme un hypocrite ou un imposteur mais comme un homme amoureux d’une jeune femme et cherchant à plaire.

Mise en scène par Roger Planchon , Théâtre de la Porte Saint-Martin à Paris, 1977

http://fresques.ina.fr/en-scenes/fiche-media/Scenes00262/tartuffe-de-moliere-mis-en-scene-par-roger-planchon.html
Source : INA

Après avoir mis en scène la pièce une première fois en 1962, Roger Planchon s’en empare de nouveau en 1973 et la présente tous les ans en tournée jusqu’en 1977. Saluée par la critique mais controversée pour son propos provocateur, sa mise en scène donne à voir en Tartuffe un séduisant jeune homme libertin qui suscite de la part d’Orgon un amour homosexuel éperdu. Planchon assume lui-même le rôle, comme pour réaffirmer son importance face à celui d’Orgon, qu’endossait Molière en son temps. L’action se tient dans une maison en travaux, ce qui figure les changements sociaux et politiques profonds qui surviennent à la fin de la pièce, avec l’affirmation du pouvoir absolu du Prince.
Reportage sur le site de l’INA

Mise en scène d’Antoine Vitez, théâtre des Quartiers d’Ivry dans le cadre du festival d’automne de Paris, 1979

« Tartuffe, Don Juan, l’Étranger qu’on n’a pas invité. Il provoque un désordre extraordinaire, et tout le monde, finalement, se ligue pour le tuer. Il vient de nulle part, il va où ? Personne ne veut écouter sa vérité. Voilà en tout cas l’image que Tartuffe aimerait bien qu’on garde de lui. Il passe, comme le Rédempteur. Quelle différence y a-t-il entre le Rédempteur et lui ? Qui nous dit que l’Imposteur n’est pas le Christ lui- même, pour Molière ? Dans un royaume catholique, on avait peut-être tout à fait raison de condamner la pièce. » Antoine VITEZ, Le Théâtre des idées, 1991.
Antoine Vitez interprète l’Exempt dans la dernière scène de l’acte V.
Lien vers le site de l’INA

Mise en scène Ariane Mnouchline, Festival d’Avignon/ Théâtre du Soleil, 1995

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9002016s
Théâtre du Soleil, 1995. Photographe Daniel Cande. Source : BnF/ Gallica

Pour mettre en valeur l’actualité du propos de Molière, Ariane Mnouchkine propose au Parc des Expositions d’Avignon une transposition de l’action dans le Maghreb musulman du XXe siècle : le décor est résolument oriental, avec grilles ouvragées, tapis et draps blancs étendus, musique raï en arrière-fond. Son Tartuffe porte la longue tenue noire des islamistes et le comédien qui l’incarne, comme la plupart des comédiens de la pièce, est étranger. À l’heure des fanatismes religieux, Mnouchkine conçoit son spectacle comme une œuvre de combat dont elle ne ferait qu’actualiser la cible. Si elle n’évacue pas la dimension comique de la pièce, elle la met cependant au service d’un propos sérieux, celui de la défense de l’amour et de la liberté contre les manœuvres de domination religieuse. Le parallèle avec le phénomène islamiste rencontre cependant une limite importante : Tartuffe est un hypocrite, un faux dévot, tandis que les terroristes islamistes sont des croyants fanatiques. La référence cesse donc progressivement d’être exploitée au cours du spectacle pour n’être plus à la fin qu’un trait de couleur locale.
Reportage photographique de Daniel Cande sur Gallica
Reportage télévisé sur le site de l’INA

Mise en scène de Georges Bensoussan à la Comédie-Française, 1997
Interview de Philippe Torreton, interprète du rôle titre sur la pièce et sa mise en scène. Extraits de la pièce.
Lien vers le site de l’INA

Autres contenus vidéos:
Réalisation de Marcel Cravenne avec Michel Bouquet et Delphine Seyrig (1977)
Lien sur le site de l’INA

Dossier pédagogiques

  • La pièce en images dans les Collections de la Comédie-Française. Lien vers le dossier
  • Dossiers pédagogiques en ligne « Pièce (dé)montée », mise en scène de Laurent Delvert, n°145-février 2012. Lien vers le site ; mise en scène de Benoît Lambert n°193 – novembre 2014. Lien vers le site
  • Dossier pédagogique autour de la mise en scène de Stéphane Braunschweig sur le site du Théâtre de l’Odéon.
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