Le Buis de Georges Courteline

Extrait des Ombres parisiennes.
Distribution : 2 hommes
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Le texte

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b6946120x
16 avril 1916, les Rameaux vente de buis : photographie Agence Rol. Source : BnF/ Gallica

« J’ vends du buis l’jour des Rameaux »

En correctionnelle.
Le président.
Larillette, levez-vous. Vous êtes prévenu de tromperie sur la nature de la marchandise vendue.
Larillette.
Je suis trop poli pour vous démentir.
Le président.
Vous avez déjà subi une certaine quantité de condamnations.
Larillette.
Dix-neuf, Monsieur le Président, mais jamais pour choses infamantes, toutes pour vols… ou escroqueries. Ni coups, ni blessures, ni outrages aux agents, ni attentats à la pudeur, rien ! Je peux dire qu’au point de vue des mœurs de la morale et du respect de l’autorité, celui-là qui me fera la pige n’est pas en beurre fondu…  (se reprenant.) Encore fondu, pardon.
Le président.
On vous a arrêté le dimanche des Rameaux devant l’église Notre-Dame-de-Lorette.
Larillette.
Où je vendais du buis… en principe.
Le président.
Vous faites bien de dire : « en principe ». En fait, le buis que vous vendiez tout en criant : « Buis béni ! Buis béni ! » était du cresson.
Larillette.
De fontaine.
Le président.
De fontaine, c’est la vérité. Si c’est là toute votre excuse !…
Larillette.
Mon Dieu, Monsieur le Président, je suis plus à plaindre qu’à blâmer. Vous pensez, moi, j’aurais vendu du buis tout aussi honnêtement qu’un autre ; qu’est-ce que ça aurait pu me faire ? Seulement voilà, j’avais acheté aux Halles, la veille, une cargaison de cresson de fontaine qui m’était restée pour compte. Je me suis donc tenu ce raisonnement bien simple : « ce cresson-là ne vaut plus rien ; c’est de la marchandise flambée. Si je vendais pour du buis !… En somme, ça ne trompera jamais que les personnes affligées de myopie, et l’intention étant réputée pour le fait, ce n’est bien sûr pas le bon Dieu qui ira, au jugement dernier, leur chercher des poux dans la tête pour l’histoire d’une malheureuse botte de cresson. » Est-ce vrai ? Alors, ma foi, j’ai mis mon cresson dans un sac et je suis allé le faire bénir.
Le président.
Vous avez fait bénir votre cresson !!!
Larillette.
Tiens, parbleu ! Vous savez bien comment ça se passe ; y a le curé qui vient sur le seuil de l’église et qui bénit à droite et à gauche, comme ça (il fait le simulacre de la bénédiction.) Mon cresson a été béni avec le reste.
Le tribunal délibère.
J’suis pas un homme à faire des blagues avec les choses de sainteté. Quoi, après tout, du cresson consacré, ce n’est plus comme de la salade.

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