La mode d’autrefois avait au moins l’élégance d’assumer sa fugacité et sa frivolité. Elle tenait surtout au vêtement et au paraître en général. Elle changeait chaque année, en un cycle de vie joyeux et éphémère. À ne pas la suivre, on risquait seulement un ridicule qui ne tuait pas. Le conformisme effréné d’aujourd’hui prétend aussi façonner les corps et les esprits. Il s’agit d’être comme tout le monde ou de ne pas être du tout. La norme vise à une intemporalité et à une perfection mortifères. L’ignorer c’est s’exposer au harcèlement de la meute, à l’exclusion du groupe, à la mort sociale et parfois à la mort tout court.

Dans une société où l’impossible quête de la conformité à une norme est devenue une impitoyable tyrannie, il était donc plus que nécessaire de faire l’éloge de la singularité et de la fragilité. C’est ce que nous propose ce magnifique spectacle, mettant en scène quelques jeunes gens qui, en nous racontant avec poésie et humour leurs différences que la société leur renvoie en son miroir comme des handicaps, nous apprennent à apprivoiser nos propres singularités et nos propres faiblesses pour en faire si ce n’est des alliées du moins des compagnons de route.

Nous avons tous nos talons d’Achille et nos épées de Damoclès. Nous sommes tous plus ou moins des handicapés de la vie. Les plus grands génies de notre histoire, par définition hors norme, souffraient de divers maux qui, s’ils n’avaient pas été des génies, en auraient fait des « handicapés ». Les plus grandes découvertes ont commencé par des errances, et les plus grandes inventions par des erreurs.

Tel est le message de tolérance et d’espoir que nous délivre ce spectacle optimiste dont on sort à la fois bouleversé et réconforté. Que chacun fasse de ses différences sa propre norme, tel est le projet enthousiasmant que nous suggère « Personne n’est ensemble sauf moi ».

Un spectacle nécessaire, à ne manquer sous aucun prétexte.

Un vrai coup de cœur de Libre Théâtre.

Critique de Jean-Pierre Martinez