J’invite le colonel d’Eugène Labiche

Comédie en un acte, mêlée de couplets d’Eugène Labiche et Marc-Michel. Représentée pour la première fois, à Paris, sur le théâtre du Palais-Royal, le 16 janvier 1860. Publié en 1860.
Distribution : 4 hommes, 1 femme
Texte intégral à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre.

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b6400860p
Labiche, Luguet, Ravel et Lhéritier : portrait par Lhéritier 1867. Source : Bnf/Gallica

L’argument

Carbonnel s’est fait surprendre avec une femme dans un restaurant par son domestique, Isidore, qui a averti sa femme. Depuis elle le menace de céder aux avances du colonel Bernard et tient sous clé l’argent du couple.

Un extrait

Carbonnel.
C’est clair ! Voilà ce que c’est que d’aller au bal de l’Opéra ! Ah ! si jamais on m’y reprend ! Il y a quinze jours, je me promenais sur le boulevard… je m’amusais à compter les cafés…. Je rencontre Jules, un de mes amis… il me dit : « Vas-tu au bal de l’Opéra, ce soir ? — Non, je rentre… C’est dommage, j’ai un billet qui sera perdu… je vais en soirée. — Un billet perdu ! Donne ! j’irai un moment pour voir le coup d’œil… » J’achète des gants, je me fais donner un coup de brosse et j’entre… Je me promenais dans le foyer depuis cinq minutes, lorsqu’un domino me prend le bras. « Bonjour, Carbonnel ! — Tiens, tu me connais ? — Parbleu ! tu demeures rue de Trévise. — C’est vrai. — Ton salon est tendu en soie bleue, ta chambre à coucher en damas jaune… et ta cuisinière louche ! » Ce qui est parfaitement exact. Je me dis : « Plus de doute, c’est une dame de nos connaissances qui s’amuse à m’intriguer. » Alors, pour la mettre au pied du mur, je lui décoche cette phrase : « Beau masque, veux-tu souper avec moi ?  » Elle me répond : « Impossible, mon chat ! Je suis avec quelqu’un… » Il était évident qu’elle reculait… Je riposte : « Un petit déjeuner au champagne ? — Quand ? — Demain à midi, chez Brébant. — J’y serai !… » Et elle me quitte. Je rentrai chez moi avec l’intention de tout raconter à ma femme… parole d’honneur… mais elle dormait !… Le lendemain, vers midi, je ne sais par quelle suite de circonstances je me trouvai à la porte de Brébant… je montai sans y penser… je pris un cabinet par mégarde… et je me fis servir une douzaine d’huîtres machinalement ! En les mangeant, je me disais : « Elle ne viendra pas, c’est une farce !… » Tout à coup la porte s’ouvre, une dame paraît… mon inconnue… elle lève son voile… patatras ! c’était la couturière de ma femme !… Une petite brune… pas bien distinguée… mais piquante ! J’avais invité la couturière de ma femme !… Que faire ? Pour cacher mon embarras, je fais venir deux biftecks, avec pommes, deux fricassées de poulet, deux civets de lièvre, deux gibelottes de lapin, et caetera ! et caetera !… enfin, un bon petit déjeuner. Nous allions attaquer la seconde bouteille de champagne… lorsque par la porte, restée entr’ouverte, j’aperçois une tête… la tête de Méduse ! celle d’Isidore, mon domestique !… Nous avions du monde à dîner, et ma femme l’avait envoyé chez Brébant pour commander un plat… L’animal entrait dans tous les cabinets pour chercher le chef de l’établissement. En m’apercevant, il s’écrie : — « Tiens ! Monsieur, qui est avec une dame !… » Et il disparaît… Je demande l’addition, je cours sur ses traces et j’arrive… trop tard ! Il venait de tout raconter à ma femme !… Je m’attendais à une scène, à des cris, à des larmes !… Pas du tout ! je trouvai Elisa très calme, très digne, mais très sévère. Elle se contenta de me demander froidement la clef de la caisse… et depuis ce jour… elle l’a gardée ! Elle me donne vingt francs par semaine pour mes menus plaisirs… Vingt francs ! vraiment ; ce n’est pas assez, je suis dans la misère ! C’est au point que je regarde à prendre un omnibus, même en haut !…Ah ! si jamais je retourne au bal-de l’Opéra !

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