Monologue d’Arnolphe dans L’Ecole des Femmes de Molière (Acte 4, Scène 1)
Arnolphe.
J’ai peine, je l’avoue, à demeurer en place,
Et de mille soucis mon esprit s’embarrasse,
Pour pouvoir mettre un ordre et dedans et dehors
Qui du godelureau rompe tous les efforts.
De quel œil la traîtresse a soutenu ma vue !
De tout ce qu’elle a fait elle n’est point émue ;
Et bien qu’elle me mette à deux doigts du trépas,
On dirait, à la voir, qu’elle n’y touche pas.
Plus en la regardant je la voyais tranquille,
Plus je sentais en moi s’échauffer une bile ;
Et ces bouillants transports dont s’enflammait mon cœur
Y semblaient redoubler mon amoureuse ardeur ;
J’étais aigri, fâché, désespéré contre elle :
Et cependant jamais je ne la vis si belle,
Jamais ses yeux aux miens n’ont paru si perçants,
Jamais je n’eus pour eux des désirs si pressants ;
Et je sens là dedans qu’il faudra que je crève
Si de mon triste sort la disgrâce s’achève.
Quoi ? J’aurai dirigé son éducation
Avec tant de tendresse et de précaution,
Je l’aurai fait passer chez moi dès son enfance,
Et j’en aurai chéri la plus tendre espérance,
Mon cœur aura bâti sur ses attraits naissants
Et cru la mitonner pour moi durant treize ans,
Afin qu’un jeune fou dont elle s’amourache
Me la vienne enlever jusque sur la moustache,
Lorsqu’elle est avec moi mariée à demi !
Non, parbleu ! Non, parbleu ! Petit sot, mon ami,
Vous aurez beau tourner : ou j’y perdrai mes peines,
Ou je rendrai, ma foi, vos espérances vaines,
Et de moi tout à fait vous ne vous rirez point.
Lien vers le texte intégral de l’École des femmes