Quelques livres de Georges Courteline

Extraite des Ombres Parisiennes.
Distribution : 1 homme, 1 femme
Texte à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre.

Le texte

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9004357c
Librairie romantique, E. Monnier & Cie éditeurs, 7 rue de l’Odéon : [affiche] / E Grasset 1887. Source : BnF/ Gallica

Le Librairereconduisant une cliente.
Madame ! …
(Salut cérémonieux). La cliente sort.
Vrai, on a beau être édifié sur l’ignorance du public, il y a toujours des surprises et il est des gens tellement bêtes que ce serait à leur fiche des gifles. Ainsi vous voyez bien cette dame, n’est-ce pas ? Elle arrive il y a cinq minutes et me déclare avec la même tranquillité que je mets à vous le redire :

– Monsieur, je désirerais avoir trois gueules de bois.

Tout d’abord je crus à une folle et je l’allais de très bonne foi envoyer chez l’orthopédiste, quand elle m’avoua que, peut-être, elle ne prononçait pas très bien, ayant ouï parler de cet ouvrage, la veille, dans le vague brouhaha des conversations, à je ne sais plus quel five o’clock. Ceci m’ouvrit des horizons… Devinez ce qu’elle désirait. Non, devinez un peu, pour voir ?

Tragaldabas !!!

Hein ? Joli ? Trois gueules de bois pour Tragaldabas, c’est un comble. Oh ! et puis ce n’est pas tout. Sans doute qu’il avait été fort littéraire, ce five, car elle me demanda successivement une demi-douzaine de volumes, tous plus invraisemblables les uns que les autres : Les fils d’Ophélie pour Méphistophéla ; le Vieux pipelet pour le Dieu Bibelot ; Le Bâton de Léon Mollard pour Le Bâtard de Mauléon… et cætera et cætera. A la fin, elle me questionna pour savoir lequel elle devait choisir du Guide-Conty ou du Guide-Maupassant. Cette grue, trompée par le prénom de l’illustre auteur d’Une vie, l’avait pris pour un simple indicateur à l’usage des Englishs en villégiature. Comment trouvez-vous le brouillon ? (Haussement d’épaules)… A leur fiche des gifles, je vous dis ! (La porte se rouvre.) Elle ! … Elle aura oublié quelque chose. (Très empressé.) Madame désire ?

La Dameavec un petit sourire gêné.
Monsieur, je vous demande pardon de venir vous déranger une seconde fois, mais voilà… Je n’ai pas osé… tout à l’heure… Un embarras bien naturel… Enfin, monsieur, – j’ai affaire à un galant homme, n’est-ce pas ? – je voudrais que vous me compreniez à demi-mot…

Le Libraire,
Parlez, madame ! – Un libraire est un confesseur.

La Dame.
Hé ! bien, voici. Hier, toujours au même five o’clock, on a également parlé, et en termes fort élogieux, d’un ouvrage qui… (Sourire libidineux du libraire.) Oh ! vous vous méprenez, monsieur ! ce n’est pas ce que vous pensez ! Je suis une honnête femme et une mère de famille !

Le Librairefrappé d’une idée.
Vous êtes mariée, madame.

La Dame, qui baisse les yeux.
Oui.

Le Libraire.
Je comprends. (A mi-voix.) Le Traité de l’Amour conjugal, n’est-ce pas ?

La Dame.
Ce n’est pas cela, mais c’est quelque chose d’analogue et traitant du même sujet.

Le Libraire.
Parfaitement. L’Hygiène du mariage.

La Dame.
Non.

Le Libraire.
Le Catéchisme des jeunes époux ?

La Dame.
Point cela encore, mais vous brûlez. D’ailleurs c’est d’Alphonse Daudet.

Le Librairequi bondit.
D’Alphonse Daudet !!! Un livre de… Ce n’est pas possible, madame ; vous devez faire confusion.

La Dame.
Oh non ! pour ce qui est de cela ! … est-ce bête que je ne puisse me rappeler le titre… (Elle cherche.) Le… Le… Le… (Soudain elle s’enlumine en tons de pivoine, puis d’une voix qu’on entend à peine.) Ah ! je sais. C’est… Le petit chose…

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