Le monde judiciaire dans le théâtre de Courteline

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Jules Moinaux, Extrait des tribunaux comiques de Jules Moinaux. A. Chevalier-Marescq, 1881/ Source : BnF/Gallica

Courteline propose à travers ses saynètes, des tranches de vie réalistes, souvent cruelles mais toujours comiques. Il s’inspire le plus souvent d’expériences personnelles.

Fils du chroniqueur judiciaire et auteur de théâtre Jules Moinaux, Georges prend en 1881 le pseudonyme de Georges Courteline, pour ne pas être confondu avec son père. La même année, Jules Moinaux publie un recueil de ses chroniques judiciaires du tribunal correctionnel, rédigées pour La Gazette des tribunaux ou Le Charivari, etc., sous le titre Les Tribunaux comiques. Courteline s’en inspire pour ses « fantaisies judiciaires » et le mentionne directement notamment dans l’Affaire Champignon, « fantaisie judiciaire en un acte tirée des « Tribunaux comiques » de Jules Moinaux ». La scène se passe dans un tribunal. Champignon accuse sa femme, Désirée, de l’avoir trompé avec son ami Canuche. Désirée révèle au tribunal que c’était pour se venger car son mari l’avait trompée avec Hortense Bezuche, une de ses amies.


Dans d’autres saynettes, Courteline met en lumière plus directement les aberrations de la Justice. Dans les Balances, La Brige rend visite à un de ses amis, avocat en province, après un court séjour en prison. Ses démêlés judiciaires sont principalement dus au fait qu’il est propriétaire d’une maison frappée d’alignement menacée de ruine mais qu’il n’a pas le droit de réparer : il se trouve sans solution face à l’absurdité des lois et règlements.

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Un Client sérieux. Illustration d’après les dessins de Barrère. Edition de 1912. Source : archive.org

Tous les maillons de la chaîne judiciaire sont cruellement caricaturés dans  Petin, Mouillarbourg et consorts : le Président du tribunal est pressé de boucler les deux affaires qu’il doit juger car il doit souper avec les actrices de la pièce des Folies-Comiques. Dans la première affaire, l’avocat, ancien substitut, découvre le dossier en même temps qu’il le plaide et agit confusément : il commence à accuser au lieu de plaider puis se trompe de client ;  c’est finalement le plaignant qui écope de prison pour outrage à magistrat. Dans la seconde affaire, un divorce, le président écoute les plaintes du mari tout en dévorant des yeux la femme… Pour compléter son enquête, il la convoque le lendemain à l’hôtel Terminus pour qu’elle y soit entendue en audience particulière.

On retrouve également cette figure de juge égrillard dans Quand on plaide en divorce : une femme souhaite divorcer de son mari du fait de sa réserve envers elle. Le juge essaie d’en savoir plus.

(La pièce Petin… reprend quelques saynètes parues antérieurement Le Prix d’une Gifle, Un Client sérieux, Chez l’avocat).

Quant aux arrangements avec la justice, ils sont évoqués dans Un mois de prison, sous forme de lettres échangées entre Marthe Passoire, qui risque d’aller en prison à la suite d’un flagrant délit d’adultère et le député Courbouillon, qui profite de la situation.


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Petin, Mouillarbourg et consorts. Illustration issue de l’édition Flammarion de 1899. Source : archives.org

Dans l’Article 330, Courteline met en scène Monsieur La Brige, accusé « d’outrage public à la pudeur » (article 330 du Code pénal) qui organise  avec talent sa défense face au Président d’audience, à l’huissier et au substitut. Toute la verve de Courteline  est au service de ce personnage, qui semble bien résumer la philosophie de l’auteur.

La Brige  se définit comme « philosophe défensif »: « Je veux dire que, déterminé à vivre en parfait honnête homme, je m’applique à tourner la loi, partant à éviter ses griffes. Car j’ai aussi peur de la loi qui menace les gens de bien dans leur droit au grand air, que des institutions en usage qui les lèsent dans leurs patrimoines, dans leur dû et dans leur repos. »

« Monsieur, chacun, en ce bas monde, étant maître de sa vie, en dispose comme il l’entend. Pour moi, j’ai commencé par mettre la mienne au service de celle des autres, dans l’espérance que les autres s’en apercevraient un jour et me sauraient gré de mes bonnes intentions. Malheureusement, il est, pour l’homme, deux difficultés insolubles : savoir au juste l’heure qu’il est, et obliger son prochain. Dans ces conditions, écoeuré d’avoir tout fait au monde pour être un bon garçon et d’avoir réussi à n’être qu’une poire, dupé, trompé, estampé, acculé, finalement, à cette conviction que le raisonnement de l’humanité tient tout entier dans cette bassesse: « Si je ne te crains pas, je me fous de toi », j’ai résolu de réfugier désormais mon égoïsme bien acquis sous l’abri du toit à cochons qui s’appelle la Légalité. »

Un peu plus loin il définit les rapports entre la Justice et la Loi : « La Justice n’a rien à voir avec la Loi, qui n’en est que la déformation, la charge et la parodie. Ce sont là deux demi-soeurs qui, sorties de deux pères, se crachent à la figure en se traitant de bâtardes et vivent à couteaux tirés, tandis que les honnêtes gens, menacés par les gendarmes, se tournent les pouces et le sang en attendant qu’elles se mettent d’accord. »


Pour explorer l’œuvre théâtrale de Georges Courteline dans Libre Théâtre :

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