Le Prétendant de Tristan Bernard

Saynète extraite du recueil Théâtre sans directeur (Editions Albin Michel, 1930). Source BnF/Gallica
Distribution : 3 hommes, 4 femmes
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L’argument

M. Racosse est fort riche, il a une belle maison, de beaux tableaux, et une fille à marier. Sans doute n’a-t-il pas, malgré ses affirmations, vis-à-vis de la loi fiscale une conscience très limpide mais il vit dans l’inquiétude. Tout ce qu’il doit payer au percepteur lui empoisonne l’existence « Encore un papier des contributions directes. ils me feront mourir. S’ils continuent je ne pourrai bientôt plus marier ma fille. Je n’aurai plus un sou à lui donner ».

Mme Racosse est moins pessimiste et d’ailleurs attend ce jour-là la visite d’un prétendant à la main de Mlle Racosse, la charmante Renée. Mais rien ne distrait de ses préoccupations le funèbre M. Racosse dont l’hypocondrie est portée au plus noir par la visite de sa sœur Augustine.

Celle-ci ne vient-elle pas de lui affirmer que des agents du fisc s’introduisent dans les demeures de ceux des contribuables qu’ils soupçonnent de fraude, sous des prétextes, des déguisements. Ne vont-ils pas jusqu’à se dire prétendants à la main des jeunes filles à marier, dans les familles où il y a des jeunes personnes Terrorisé, M. Racosse s’imagine immédiatement que le jeune homme qui doit venir aujourd’hui lui demander la main de Renée est un de ces espions. Comment le dépister ? Comment cacher les richesses, trop apparentes, l’hôtel, les collections, l’automobile, le jardin d’hiver, etc., etc. Et les élégances de ces dames ? et même celles de la femme de chambre ? Trop tard. On introduit deux jeunes gens M. Pomin, fabricant de caoutchouc et son ami le poète Enguerrand Durand, fils de M. Durand, fabricant de chaudières à vapeur. Tout cela sent la mystification à plein nez. Aussi dans l’entretien que M. Racosse accorde confidentiellement à M. Pomin, M. Racosse fait-il le finaud. Il sait qu’il ne s’agit pas, dit-il de la part de M. Pomin, prétendant, d’un mariage d’amour, mais d’une union d’affaires. « Alors, je dois vous prévenir honnêtement que ma situation ne me permet pas de donner la moindre dot. » En vain Pomin fait-il remarquer à Racosse toutes les raisons qu’il a de le croire riche. Racosse déclare ses immeubles hypothéqués, ses Cézanne apocryphes, son auto gagnée en loterie et sa bonne habillée à l’œil comme reine des femmes de chambre de l’arrondissement. Alors, Pomin déclare à son tour qu’il renonce à ses projets matrimoniaux, car il projetait, par cette union qu’il croyait avantageuse, de donner de l’extension à sa maison ». Racosse jubile et se dit « Je l’ai eu ». Mais Pomin était un vrai prétendant. La ruse de M. Racosse l’a forcé à dévoiler ses vrais sentiments. Et pendant cet entretien Renée a fait la conquête d’Enguerrand Durand qui, la croyant sans fortune et étant poétique et désintéressé, la demande en mariage. M. Racosse ne peut qu’approuver. Et d’ailleurs, ce poète, de par les chaudières paternelles, est un bon parti. « Mais que dira ce poète quand il apprendra que nous avons de la fortune ? », dit-il tout bas à sa sœur Augustine. « II se fera une raison » susurre celle-ci. Et on voit toute la drôlerie de ces ressorts à soubresauts imprévus à la fois retors et naïfs, et l’optimisme général qui veut que comme dans le bon vieux théâtre la farce finisse quand même par un mariage. C’est charmant. (critique de Gérard d’Houville parue dans le Figaro du 3/11/1930. Source : BnF/Gallica)


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