La Puce à l’oreille de Georges Feydeau

Vaudeville de Georges Feydeau créé au Théâtre des Variétés le 2 mars 1907. Triomphe malgré la mort de l’acteur Torin, qui interprète le rôle de Camille. La carrière de la pièce est ainsi abrégée : 86 représentations.
Distribution : 9 hommes, 5 femmes.

Texte intégral de la pièce à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b530498943
Germain dans « La puce à l’oreille », dessin de Marevéry 1907. Source : BNF/ Gallica

Raymonde soupçonne son mari, M. Chandebise, de la tromper à l’hôtel du « Minet-Galant ». Elle entreprend de le démasquer en se faisant passer pour la maîtresse supposée et en convoquant son mari à un rendez-vous dans ce fameux hôtel. Mais Chandebise avoue à son médecin, Finache, qu’il se détourne de madame parce qu’il souffre de « pannes » et décide d’envoyer à sa place Tournel qui, Chandebise ne le sait pas, est follement épris de sa femme. Le jeu des circonstances et des prétextes fait que tous se retrouvent à l’hôtel du Minet-Galant. Cet hôtel a la particularité de disposer de chambres avec des « lits sur tournette » : au cas où la police débarquerait, il suffit aux amants surpris de presser sur un bouton pour que leur lit disparaisse derrière le mur et soit remplacé par un autre lit.


Le manuscrit de la pièce

source : Bibliothèque nationale de France, Département des manuscrits, NAF 16256/ Gallica

Mises en scène sur le site de l’INA

Un siècle plus tard, son succès ne se dément toujours pas et Marcel Maréchal, avec les Tréteaux de France, en 2003, en donne une lecture tout à fait intéressante en déplaçant la chronologie dans les années 1950. Comme on le voit dans le document présenté, Maréchal ouvre son spectacle avec le défilement des personnages sur fond blanc. Ce générique visuel expose d’emblée les personnages comme des stéréotypes rapidement identifiables pour le public et place le spectacle sous les auspices, comme le dit Maréchal dans l’interview, du grotesque élisabéthain, à la façon de Shakespeare. « « Avoir la puce à l’oreille », dit par ailleurs Maréchal, avait au XVIe et XVIIe siècle, un sens érotique qu’on retrouve entre autres dans Rabelais. La pièce de Feydeau est avant tout une pièce sur le désir. Sans en avoir l’air, avec « l’insoutenable légèreté » du burlesque, Feydeau nous dit tout sur cette faille qui est en chacun de nous et d’où naît le désir qui va se projeter dans un lieu – l’hôtel du Minet Galant, à Montretout (!) – aussi fantastique et inquiétant que la lande où erre le roi Lear… »  (source : Céline Hersant/ INA)


Le parti pris de Nordey est notamment de refuser tout ancrage historique, aussi bien dans le choix du décor que dans celui des costumes. A l’inverse de la mise en scène de Marcel Maréchal, en 2003, qui inscrit la pièce dans les années 1950, Nordey affirme la volonté de dire symboliquement la « folie Feydeau ». L’auteur a en effet été interné dans une maison de santé à Rueil-Malmaison, à la fin de sa vie et Nordey, en faisant de l’espace scénique une boîte blanche aseptisée, en faisant revêtir à ses acteurs, pour l’acte final, des blouses blanches, image le monde carcéral dans lequel Feydeau a enceint ses personnages avant de lui-même se trouver enfermé. Nordey poussera cette lecture symbolique si loin (trop loin ?) qu’il clôture le spectacle en illustrant visuellement le titre de la pièce : comme dans une vision délirante, les acteurs apparaissent sous les costumes grotesques d’une puce et d’une oreille géante.

C’est dans ce sens que Nordey commente la pièce : « Feydeau est pour moi celui qui a su peut-être le mieux, au cours du siècle précédent, explorer la vie du cauchemar éveillé, de la fantaisie inquiétante sans limites de vraisemblance. Le deuxième acte de La Puce à l’Oreille est pour moi sans conteste un chef-d’œuvre de « nonsense », une mécanique théâtrale maîtrisée d’abord, puis qui s’emballe au point de verser dans le fossé » [1]. Nordey fait plier la pièce sous une lecture qui tient à la fois de l’univers de Kafka et des Marx Brothers. Ces influences, selon Nordey, ne sont pas nécessairement la formulation d’un écart, mais correspondent à la nature inextricable de la situation vaudevillesque, à la fois drolatique et tragique. Au regard de l’Histoire, cette forme comique révèle en effet quelque chose de l’insouciance de la Belle Epoque et peut nous apparaître aujourd’hui comme une manifestation d’aveuglement devant les événements qui s’annoncent au début du XXe siècle avec la dislocation de l’empire austro-hongrois. La pièce de Feydeau a été créée en 1907 au Théâtre des Variétés, et la folle gaieté qui s’en dégage pose comme un filtre sur le réel de ce début de siècle, alors que l’Europe est sur le point de s’engager dans l’un des plus conflits les plus meurtriers de son histoire. Mais, preuve de son succès et d’une demande intarissable de divertissement, La Puce à l’oreille sera très vite portée au cinéma, en 1914, par Marcel Simon, qui filmera aussi d’après Feydeau L’Hôtel du Libre-Echange. (source : Céline Hersant/ INA)


A la Comédie-Française, du 21 septembre 2019 au 23 février 2020, mise en scène de Lilo Baur 

Vous pouvez explorer l’univers de Feydeau à travers les articles suivants :

– Le Théâtre de Georges Feydeau
– Biographie de Georges Feydeau
– Les ressorts comiques du langage chez Feydeau
– La politique dans les pièces de Feydeau
– Les progrès techniques dans les pièces de Feydeau
– Le vaudeville et Feydeau (à travers deux articles de Feydeau).

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