L’Avocat d’un Grec d’Eugène Labiche

Comédie en un acte, mêlée de couplets d’Eugène Labiche et Auguste Lefranc. Représentée pour la première fois à Paris au Théâtre du Palais-Royal le 9 janvier 1859. Editée en 1859 à la Librairie Nouvelle.
Distribution : 6 hommes, 1 femme et figurants.
Texte intégral à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

L’argument

Monsieur Benoît, négociant hésite entre deux prétendants pour sa fille : Vachonnet est commerçant, et par ailleurs bègue, alors que Brossard est avocat. Benoît va écouter une plaidoirie de Brossard : il est subjugué par le talent de l’avocat et le félicite d’avoir sauvé un innocent, Malvoisie. Benoît est prêt à donner à Brossard la main de sa fille mais les choses vont se compliquer quand Malvoisie, invité par Benoît, arrive…

Un extrait

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b6400899j
Portrait de Luguet par Lhéritier (créateur du rôle de Brossard). Source : BnF/ Gallica

Benoît.
Brossard… je suis vaincu… tu l’emportes !… laisse-moi te regarder, t’admirer !… Qu’il est beau ! Moi qui te considérais comme un petit homme ordinaire… avec du ventre…

Brossard, serrant son gilet.
Par exemple !

Benoît.
Vrai ! tu me déplaisais, mon ami… je te préférais Vachonnet…

Brossard.
Il est bègue…

Benoît.
Oui, mais c’est un commerçant!… N’en parlons plus ; tu es grand, tu es immense, tu as cent coudées !

Brossard.
Vous êtes bien bon… pourquoi ça ?

Benoît.
Mais j’en sors, mon ami, j’en sors !

Brossard.
D’où ?

Benoît.
De l’audience!

Brossard.
Ah ! Bah !

Benoît.
Je me suis dit : avant de lui donner ma fille, il faut que j’entende parler ce gaillard-là… et s’il ne plaide pas à mon idée… tout est rompu.

Brossard, à part.
Sapristi ! …

Benoît
Entre nous, j’espérais que tu barboterais… Que veux-tu ? j’ai un faible pour Vachonnet!.,. J’entre dans le prétoire… c’est la première fois que je vais dans cet établissement… j’étais fort ému… Je me cache dans un coin… on appelle ta cause… tu te lèves !… Ah ! mon ami, que la toque te va bien… Je te prierai de la mettre quelquefois en famille.

Brossard.
Comment donc ! tous les dimanches… au dessert.

Benoît.
Tu parles… je t’avouerai qu’au premier abord ton client ne me revenait pas beaucoup.

Brossard.
Je le crois bien !

Benoît.
Mais en t’écoutant, il m’a semblé qu’une auréole descendait d’en haut pour éclairer cette noble physionomie !…

Brossard.
Vraiment ? (A part.) Il est poétique, le beau-père.

Benoît
Peu à peu, je sentis les larmes me venir aux yeux et les sanglots… car j’ai sangloté.

Brossard.
Allons donc !

Benoît
Au point que l’huissier m’a mis à la porte…

Brossard.
Comment ! c’était vous ! (Lui serrant la main.) Ah ! c’est gentil… Merci !

Benoît.
Mais ça m’était égal, j’avais entendu ta péroraison j’avais vu le bouquet !… et j’apprenais un instant après que ton client, le vertueux Malvoisie… était acquitté…

Brossard.
Oui, beau-père… à l’unanimité… moins trois voix!…

Benoît, vivement.
Comment ! moins trois voix ! ça fait pitié ! Un si magnifique caractère ! un homme qui a sauvé une femme des flots ! un vieillard !… que dis-je, un commerçant !…

Brossard.
Oui… un Vachonnet, enfin!

Benoît.
Un Vachonnet de l’incendie… et un enfant… je ne sais plus de quoi !… Moins trois voix ! c’est honteux !…

Brossard.
Songez qu’il y avait contre lui des charges accablantes.

Benoît.
Des charges ! quelles charges ?… Quant à moi, j’étais convaincu… surtout quand tu t’es écrié avec âme ! (Déclamant.) Cet homme que l’on soupçonne, messieurs, cet homme que l’on accuse, cet homme que l’on flétrit… Je voudrais… oui… je voudrais qu’il fût mon frère !

Brossard.
Ça a bien fait, n’est-ce pas ?

Benoît.
Je t’en réponds, que ça a bien fait.

Brossard.
C’est ce que nous appelons une ficelle.

Benoît.
Comment! une ficelle ?

Brossard.
Oui, un mouvement oratoire.

Benoîtde bonne foi.
Alors, mon ami, mon compliment… Tu es sublime dans la ficelle !… Avocat ! est-il une plus noble profession ? Ça m’a décidé tout de suite à te nommer mon gendre !… Ah ! tu dois te sentir la conscience heureuse… le cœur satisfait !…

Brossard.
Moi ? pourquoi ?

Benoît.
Avoir fait acquitter un innocent !

Brossardfroidement.
Oui, oui,oui…

Benoît.
L’avoir rendu à sa famille ! car c’est un père de famille… cinq enfants!

Brossardfroidement.
Oui, oui, oui…

Benoît.
L’as-tu revu au moins ? lui as tu serré la main ?

Brossard.
Ma foi, non !

Benoît.
Eh bien ! tu le reverras !

Brossard.
Oh ! je ne crois pas !

Benoît.
Si… si… je t’ai ménagé une surprise.

Brossard.
Comment ?

Benoît
A la sortie de l’audience… encore tout ému, tout transporté, je lui ai fait parvenir une lettre d’invitation pour notre bal.

Brossardbondissant.
Allons donc ! c’est impossible ! une invitation, à Malvoisie ?

Benoît
Oui… au noble Malvoisie ? à ton frère !

Brossard.
Mon frère ! mon frère !… Que diable, un homme qui s’est assis sur les bancs…

Benoît
Un innocent ! la société lui doit une réparation… et je me suis chargé de la lui donner. Voilà comme je suis !

Brossard
Oui ? (A part.) Il est bête comme les souliers d’un Auvergnat ! Heureusement que l’autre ne viendra pas, il se rendra justice.

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