La conversion d’Alceste de Georges Courteline

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b530497364
Henry Mayer dans « La conversion d’Alceste » dessin de Yves Marevéry. 1906. Source : Bnf/Gallica

Pièce en un acte (5 scènes) et en vers, créée le 18 janvier 1905 à la Comédie-Française.
Distribution : 4 hommes et une femme.

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L’argument

Suite (et pastiche) du Misanthrope de Molière, écrite dans le même style, en alexandrins. Alceste a changé et a décidé  d’être plus tolérant avec ses semblables. Hélas, il lui arrive les mêmes déconvenues.


Le récit de la création de la pièce par Emile Faguet dans Propos de théâtre, Quatrième série (1907).

« M. G. Courteline. La Conversion d’Alceste, un acte, en vers.

Rarement l’anniversaire de Molière a été célébré par un chef-d’œuvre. Or c’est presque ce qui lui est arrivé en l’an de grâce et de talent 1905.

La Comédie-Française avait réservé pour le 15 janvier la première représentation de la Conversion d’Alceste, de M. Georges Courteline. C’est une petite pièce à ravir tous les lettrés.

C’est — tout comme le Philinte de Fabre d’Eglantine — une « suite du Misanthrope ». L’auteur a supposé, sans beaucoup de vraisemblance, à lui parler sans fard, mais, du reste, rien n’est plus permis que cette liberté, qu’Alceste s’est converti, ou plutôt, bien plutôt, a tâché de se convertir. Il s’est juré à lui-même de chercher toujours le bon côté des choses ; il s’est promis d’être aimable en société et indulgent aux travers des hommes ; et enfin il a épousé Célimène en retirant le fameux ultimatum qu’il avait prétendu lui imposer : se retirer dans une solitude et « renoncer au monde ».

Ce qu’il pourra bien advenir de la conversion d’Alceste, voilà la question et voilà la pièce.

Il en advient au pauvre Alceste de multiples mésaventures qui le rengagent de plus belle dans sa résolution première : voilà la réponse à la question.

Premier épisode : Oronte vient lui lire un second sonnet, plus ridicule que le premier. Alceste l’approuve et le loue. Fort bien ; mais Oronte prie Alceste de bien vouloir faire insérer le sonnet dans leMercure, où Alceste a des intelligences ; et Alceste s’en défend ; et la scène d’altercation entre Oronte et Alceste, telle qu’elle est dans Molière, recommence. Moralité de ce premier épisode : on ne peut pas soutenir longtemps le caractère qu’on s’est donné. Philinte aurait dit, lui : « Mais certainement, cher ami, je me fais fort de faire insérer ce chef-d’œuvre dans le Mercure. »

Car enfin Alceste ni Philinte ne sont ni directeur de journal ni critique de profession, et par ainsi, ils ne sont pas forcés d’être Alceste. Dialogue, très historique, entre un homme du monde et moi : « Vous lui avez dit — c’est l’homme du monde qui parle — que son roman était mauvais ?

— Oui.

— Pourquoi ? Êtes-vous Alceste ?

— Pas du tout, mais je suis forcé de l’être.

— Pourquoi ?

— Mais cela va de soi. Supposez qu’en homme du monde, comme vous feriez, je dise à X… : « Il est exquis, votre roman. » Il prend la balle au bond et me dit immédiatement : « Alors, faites-le insérer dans telle revue, où vous influez ; faites-le publier chez Z…, qui vous considère ; et faites-en l’éloge dans tous les papiers où vous noircissez du blanc. » C’est si vrai, notez ceci, que même quand je dis à un auteur : « Votre ouvrage ne vaut rien du tout », je vois, très souvent, presque toujours, mon homme me sourire d’un air aimable et je l’entends me dire : « Eh bien, puisque vous avez quelque indulgence pour mon pauvre ours, un mot à Claretie, n’est-ce pas ? C’est promis ? Merci ! Oh ! merci ! » Je suis donc forcé, absolument forcé, d’être Alceste, sans avoir le moindre goût pour cela.

— Vous pourriez faire le maître Jacques.

— Comment cela ?

— Un auteur vous soumet son œuvre. Vous lui dites : « Charmant ! Exquis ! Adorable ! C’est même bien. » Il vous dit : « Faites-en l’éloge » ou : « Faites-le imprimer. » Vous lui répondez : « Pardon ! ce n’est plus à l’homme du monde que vous parlez ; c’est au critique. Autre homme, autre langage. Votre ouvrage, Monsieur, est idiot. »

— Oui, oui, sans doute ; mais comme cela, ce serait encore plus dur. »

Un critique ou un directeur de quelque chose est donc forcé d’être Alceste. Alceste lui-même, point. C’est ce qui me faisait dire que la moralité de ce premier épisode est celle-ci : « On ne peut pas soutenir longtemps le caractère qu’on n’a pas et qu’on s’est donné. »

Second épisode : Alceste a gagné son procès ; mais les frais de justice s’élèvent si haut qu’à peu de chose près c’est comme s’il l’avait perdu. Il perd un peu de sa satisfaction et de sa belle contenance et menace M. Loyal de lui casser les os.

Ici Alceste ne se montre même pas comme s’étant converti ; il est exactement le même que dans Molière.

Troisième épisode : Philinte, qui est devenu l’amant de Célimène, et Célimène, qui est devenue la maîtresse de Philinte (cette pauvre Eliante a été supprimée net par M. Courteline), s’entretiennent des raisons pourquoi ils sont devenus amants. C’est qu’Alceste, dès qu’il a cessé d’être « atrabilaire », a perdu tout son charme ; il est devenu n’importe qui ; pis encore, il a pris l’air gauche que l’on a toujours dans un caractère d’emprunt. Moralité de ce troisième épisode : Il vaut toujours mieux rester tel que la nature vous a fait :

Quiconque est loup agit en loup :
C’est le plus certain de beaucoup !

Et c’est ce qu’Alceste comprend très bien lui-même ; car, ayant surpris l’aimable conversation entre Philinte et Célimène, que je viens de vous crayonner, il se convertit de sa conversion et, cette fois définitivement, il fuit au désert. On ne le reprendra plus à avoir des amis, à se marier et à vouloir être aimable.

Cette pièce, vive, rapide, d’un mouvement enragé, est extrêmement jolie à écouter ou à lire. Vous en voyez bien l’unique défaut, peu sensible à la scène, sensible à la lecture et à la réflexion. Tous les personnages de Molière y sont dégradés, ou, si vous trouvez le mot trop fort, baissés d’un cran. Le Philinte de Molière est un homme aimable et un sceptique, et aussi un pince-sans-rire mystificateur ; mais il est loyal et généreux. Chez M. Courteline, c’est un vilain personnage. Alceste chez Molière est un grand caractère avec des ridicules ; chez M. Courteline, ce n’est guère qu’un sot violent. Oronte lui-même, encore gentilhomme chez Molière, chez M. Courteline n’est qu’un hanneton. Célimène, elle encore, s’est embourgeoisée jusqu’à n’être qu’une« sous-Parisienne », inférieure à celle de Becque. Je regrette un peu cela, parce que la Conversion d’Alceste étant évidemment destinée à rester au répertoire et devant paraître devant la postérité, ce défaut grossira aux yeux à mesure que le temps marchera, comme il arrive toujours, et déparera un ouvrage charmant.

Car il est charmant. Il est presque continuellement une petite merveille de style. Si je voulais chicaner… et précisément chicanons, pour montrer par l’infime nombre des taches à relever, même en s’appliquant, combien l’ouvrage est de style pur.

Qu’est-ce que j’ai pointé du crayon rouge ?

« Enforci ; vous êtes en forci. » Très français, mais archaïque en 1766, nullement usité, ce me semble, au dix-septième siècle.

« Et d’absurdes on-dit vous ont mal avisé. » Un on-dit n’a jamais été français, et dans la bouche d’un homme du dix-septième siècle ne se peut souffrir.

« Ce troubadour transi doublé d’un belluaire. » — Ah ! celui-ci est bien mauvais. « Un critique doublé d’un poète, un sot doublé d’un impertinent, un ministre doublé d’un mouchard », c’est une des plus mauvaises locutions — oh ! cette doublure ! — dont le dix-neuvième siècle nous ait dotés, et tout homme de lettres doit se prendre la main gauche avec la main droite et se jurer de ne jamais l’employer. Et la mettre dans la bouche de Célimène, en 1766, Monsieur, c’est un scandale.

De plus, belluaire n’est ni français ni latin, et en tout cas il n’est pas du vocabulaire de Célimène.

Enfin, j’ai un doute sur la contredanse. J’ai quelque idée que cette danse n’était pas inconnue au dix-septième siècle, mais je ne la trouve dans aucun texte classique de ce temps-là. Il était bien facile de la remplacer par une des danses célèbres et continuellement citées de cette époque.

Voilà, ma foi, tout ce que je trouve qui me choque plus ou moins dans ces quinze cents vers. Ce n’est rien du tout. En revanche, savourez-moi tout ce qui suit et qu’en vérité je copierais pour le seul plaisir de le transcrire :

Au pardon qui sourit la sagesse commence,
Il n’est pas d’équité sans un peu de clémence.
*
Des leçons de la vie éternel apprenti,
Le juste n’est jamais qu’un pécheur converti.
*
Pourtant vos torts ! — Quels torts ? — S’aveugler à ce point !
C’est les avoir deux fois que ne les sentir point.
*
Dans l’emploi des Acaste et des Prince Charmant
Notre homme à m’émouvoir tâche inutilement :
Il y marque une ardeur à nulle autre seconde ;
Mais, n’étant plus quelqu’un, il devient tout le monde.
*
Il est toujours un peu de sottise en partage
— Oui, mais, s’en croyant moins, il en a davantage.

Et les couplets ! Il y en a de ravissants, comme fermeté, comme ampleur et comme entrain. Voyez un peu celui-ci :

Parbleu ! mon cas est neuf et vaut d’être conté.
On me lit un premier sonnet. Je le condamne.
Le poète entre en rage et je suis traité d’âne.
Il m’en lit un second. J’y donne mon bravo.
I.’auteur entre à fureur ; je suis âne à nouveau !
Donc âne si je blâme, âne encor si j’encense !
Je voudrais pourtant bien qu’on me donnât licence
De trouver qu’un sonnet est bon ou ne l’est pas
Sans être ànifîé dans chacun des deux cas.
J’ai encore plaisir à vous présenter la doléance de M. Loyal :
……..L’existence est si dure
Qu’il faut être indulgent aux gens de procédure !
Ne m’ouvrez pas, hélas ! la porte du tombeau ;
Je suis encore jeune et je suis resté beau.
Dites-lui donc, Monsieur, de m’être pitoyable.
Je ne veux pas mourir ; c’est trop désagréable.
Je ne suis qu’un pauvre homme aux ordres de la loi ;
Et j’ai quatorze enfants, dont plusieurs sont à moi.

Regnard n’aurait pas fait mieux.

Cette jolie pièce a été très vivement enlevée par M. Mayer en Alceste, M. Dessonnes en Philinte et le jeune M. Brunot, qui a été étourdissant de verve et qui a eu un succès éclatant, en Oronte. M. Croué était un fort bon Loyal, et Mme Lara, qui ne fait que passer, une fort agréable Célimène.

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