La Dame aux jambes d’azur d’Eugène Labiche

Pochade en un acte d’Eugène Labiche et Marc-Michel, représentée pour la première fois sur le Théâtre du Palais-Royal le 11 avril 1857.
Distribution : 6 hommes, 2 femmes
Texte intégral de la pièce à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

L’argument

Ouverture musicale, lever de rideau sur la scène du Théâtre du Palais-Royal et… l’annonce que, faute de préparation, la première de La Dame aux jambes d’azur est remplacée par une répétition publique ! L’auteur, le comédien Arnal, est alors confronté à un invraisemblable enchaînement d’imprévus : le souffleur est remplacé au pied levé par un machiniste analphabète, l’interprète de la princesse mange une saucisse et achève son tricot, son confrère Ravel commente et critique sa pièce, le doge de Venise cherche un appartement dans tout Paris… Une critique du monde du théâtre

Un extrait

Arnal, au public.
Messieurs… au moment de lever le rideau… on vient de s’apercevoir que la pièce intitulée La Dame aux jambes d’azur n’était pas complètement mûre… il nous sera impossible de la présenter ce soir au public… nous allons passer une partie de la nuit à la répéter, afin de pouvoir vous l’offrir demain sans faute… (Il fait plusieurs saluts, puis revient vers le public.) Ah! j’oubliais de vous dire que l’auteur est extrêmement contrarié de cette… conjoncture !… c’est son premier pas sur la scène… comme poète… car vous avez déjà daigné l’encourager comme acteur… c’est un de nos camarades… un homme d’ordre !… beau cavalier… plein de zèle, de conscience, d’amour pour son art, enfin, c’est… c’est moi! (Minaudant.) Oui, messieurs… oui, messieurs… à force de jouer les œuvres de MM. tels et tels… œuvres qu’il ne m’appartient pas de qualifier, mais qui sont souvent d’une platitude !… je me suis dit : Pourquoi n’en ferais-je pas autant ?… Alors, je taillai ma plume, j’étudiai le cœur humain, et en moins de douze jours, j’écrivis mon œuvre… La Dame aux jambes d’azur… cent quarante-neuf pages… sans ratures… rien que ça !… Je m’empressai de présenter l’ouvrage au directeur… il mit cinq ans à le lire… et au bout de ce lustre, il me fit cette réponse évasive : « Mon ami, c’est une ordure !… » J’ose croire qu’il était dans l’erreur… et j’en appelle au public… qui viendra demain, car ce soir, nous allons faire ce qu’on appelle une bonne répétition… Nous n’osons pas vous prier d’y assister… cependant, nous serons très reconnaissants aux personnes qui voudront bien rester… Mais je dois vous prévenir que c’est une simple répétition, et que tout signe d’improbation est formellement interdit… mais on peut applaudir… L’auteur espère, messieurs, que vous en trouverez fréquemment l’occasion… On va commencer… (Saluant.) Mesdames… Messieurs… (Il se retire, le rideau tombe.)

Pour en savoir plus

Dossier de presse de la mise en scène de Jean-Pierre Vincent en 2015 à la Comédie-Française, sur le site de la Comédie-Française

Extrait de La Dame aux jambes d’azur et les comédiens à la Comédie-Française Par Agathe Sanjuan, conservatrice-archiviste de la Comédie-Française

La création
« La Dame aux jambes d’azur, créée le 11 avril 1857 au Théâtre du Palais-Royal, fut donnée au cours d’une représentation au bénéfice de Mademoiselle Lucile Durand, artiste de ce théâtre. Le programme était composé de Avez-vous besoin d’argent, parodie en un acte de Sibaudin et Bourdois, suivie de Monsieur et Madame Rigolo, pièce en un acte de Najac et S. Mangeant, puis de L’Affaire de la rue de Lourcine de Labiche, Monnier et Martin, créée le 26 mars précédent, et enfin de La Dame aux jambes d’azur, pochade en un acte de Labiche et Marc-Michel. Le public semble avoir goûté ce programme de circonstance visant à lever des fonds pour la comédienne en retraite, puisque au-delà de cette représentation exceptionnelle, il est interprété sans interruption jusqu’à la fin du mois.

La pochade brossant un portrait peu reluisant du milieu théâtral, de connivence avec le public, et sur fond de parodie du drame romantique, donne lieu à la publication de la brochure du texte assortie d’une illustration qui paraît chez Michel Lévy frères en 1857 (dans la collection du Théâtre contemporain illustré), mais elle ne fait pas partie des cinquante-sept pièces choisies par Labiche pour figurer dans son Théâtre complet publié de son vivant en 1878-1879. La pièce est écrite pour la troupe du Palais-Royal, que Labiche connaît très bien pour y avoir monté avec succès la majorité de ses pièces. Arnal, le lamentable auteur de La Dame, jouait le rentier Lenglumé dans L’Affaire de la rue de Lourcine. Ravel a pour sa part créé Fadinard du Chapeau de paille d’Italie et Grassot est un des acteurs historiques de Labiche : il a fait ses débuts en 1838 dans Monsieur de Coyllin, ou l’Homme infiniment poli et il est le protagoniste d’Une tragédie chez M. Grassot, jouée en 1848, autre illustration parodique d’un monde théâtral en prise avec le système des privilèges. Parmi les personnages, « l’un déclamait Iphigénie en Aulide, l’autre le Récit de Théramène, un troisième Oreste, etc. Après un assaut de calembours et de coq-à-l’âne, survenait de la part du Théâtre-Français, qui du genre ennuyeux a le monopole de la gloire, la défense d’empiéter sur son privilège ». Dans La Dame aux jambes d’azur, Labiche se moque ouvertement de la double fantaisie d’Arnal : se piquer d’écrire et vouloir se retirer en Suisse (dernière scène), facétie dont le public semble complice à en croire la chronique cocasse du Journal amusant (25 avril 1857) : « C’est le dernier rôle qu’Arnal créera de la saison ; il nous quitte à la fin du mois. Il retourne en Suisse, malgré le grand succès que lui doit l’Affaire de la rue de Lourcine. On a essayé de le retenir, on n’a pas réussi. Arnal ne peut pas rester, il a sa maison de campagne helvétique à faire agrandir, et à partir du mois de juin, on ne trouve plus un seul maçon en Suisse. À cette époque de l’année, tous les maçons, menuisiers, charpentiers, changent d’état : ils se mettent au service des touristes en qualité de guides. Arnal a donc mille raisons excellentes pour ne pas attendre que la saison soit trop avancée. » Mais la même chronique insiste surtout sur l’audace de la scène de Mme Chatchignard qui apparaît au balcon, ce qui vaut à Labiche quelques démêlés avec la censure, conservatrice, et qui n’admet pas que l’on veuille faire participer le public à la représentation théâtrale. »

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